Deux ans. Deux ans déjà qu’ils étaient arrivés sur l’île de Silvergate. Deux ans que leurs vies avaient été bouleversées et, s’il en croyait aussi bien les autorités de l’île que ses propres investigations dans la Force, de façon irrémédiable. Deux ans et même s’il y avait des moments plus durs que d’autres, même pour lui, malgré tous les exercices de méditation qu’il pouvait réaliser, eh bien : la vie suivait son cours. Elle n’avait jamais été un long fleuve tranquille, jamais été un chemin linéaire et parfaitement tracé pour autant, pas plus ici qu’elle ne l’avait été avant. Pour autant, il y avait une réalité qu’aucun des réfugiés venant du même monde que lui ne saurait nier : Silvergate était calme, bien plus que tout ce qu’ils avaient connu jusqu’alors. Et cela lui convenait. Luke avait l’impression, pour la première fois depuis bien longtemps, de pouvoir prendre son temps sans que la Galaxie toute entière n’avance sans lui. Une impression qu’il avait depuis l’enfance, perdu sur Tatooine, comme retiré du reste du monde et du conflit intergalactique dont les récits lui venaient principalement des vauriens et autres contrebandiers dont il était censé ne jamais s’approcher. Une impression qu’il avait conservé après la guerre, quand il avait cherché à monter son école, à recruter des élèves, tout en gardant un œil sur la situation politique qui évoluait à une vitesse folle. Mais cette course contre la montre semblait bien s’être stoppée, depuis les portails, depuis Silvergate. Ici, Luke avait vraiment l’impression de pouvoir prendre le temps de vivre, même au travers de la Force, et de s’occuper comme il le souhaitait de son élève – de ses élèves, en réalité. Et c’était ce qu’il faisait d’ailleurs, aujourd’hui. Pour une fois loin des cours habituels ou des séances d’entraînement, il tentait simplement d’apprendre à son jeune élève parfois si indiscipliné les rudiments de la cuisine. Ce qui, très honnêtement, était loin d’être une mince affaire.

« Grogu, non, ne mange pas cela avant qu’on ne l’ait fait cuire, s’il te plait. » Le ton reste celui de la remontrance, mais l’amusement brille dans les yeux de Luke alors que l’enfant repose les ingrédients prélevés dans l’un des plats. Il a fini par se faire à son impatience et ne peut s’empêcher de s’en amuser. Et tout en lui expliquant patiemment chaque étape de ce qu’il fait, il ne peut s’empêcher d’apprécier ce moment de calme et de complicité qu’il partage avec lui.

Sauf que ce moment est soudain brusquement interrompu par des coups frappés à la porte et une voix qu’il ne reconnaît que trop bien. Aussitôt, le maître Jedi se fige et sa propre surprise doit percuter de plein fouet son élève qui émet aussitôt un couinement inquiet. Car oui, l’espace d’un bref instant, Luke a peur. Une peur irraisonnée, un peu insensée, peut-être, mais qui pulse soudain dans son cœur. Il n’a pas peur pour lui, non : il a peur pour Grogu. Parce que la voix qui l’appelle ainsi est celle de Trilla Suduri, l’ancienne Inquisitrice. Et qu’elle a pu arriver jusqu’ici sans même que Luke ne la sente approcher. Il a trop baissé sa garde, clairement. Et s’il arrive quoi que ce soit à l’enfant à cause de cela…

Pourtant, rapidement, Luke se reprend. Se saisit de son sabre toujours posé non loin pour le dissimuler dans les plis de sa tunique, tout en lançant à R2 : « Occupe toi de Grogu. Je vais voir ce qu’il se passe. » Son droïde acquiesce aussitôt d’une trille, pour une fois sans protester avant de s’exécuter. Et Luke prend alors sur lui d’aller ouvrir la porte, dès que les deux ont disparu dans une autre pièce. Si son expression n’est pas hostile, elle est pourtant bien plus neutre que la bienveillance qu’il a souhaité à chaque fois offrir à la jeune femme, trop surpris encore par son irruption soudaine. Il s’efforce, pourtant, de l’accueillir : « Bonjour, Trilla. Que me vaut le plaisir de votre visite ? » Car pour le Jedi, ses explications étaient bien trop obscures et les raisons de son excitation plus encore, lui qui ne l’avait connu jusqu’alors qu’agressive et renfermée. Mais il était prêt à l’écouter, comme il le lui avait promis. Même s’il se tenait sur ses gardes, d’autant plus qu’il la laissait entrer dans son foyer, il ne dérogerait pas pour autant à sa parole aujourd’hui.

Si la méfiance de Luke à l’égard de l’ancienne Inquisitrice est à son sens parfaitement justifié, au vu de leurs précédentes rencontres, elle marque un point sur le fait qu’elle l’aurait déjà attaqué si tel avait été ses intentions. Après tout, lors de leur première rencontre, ils n’avaient échangé que quelques mots avant qu’elle ne passe à l’attaque avec une violence qui, s’il avait réussi à la contrer avec une certaine aisance, n’en était pas moins particulièrement agressive. La même agressivité dont elle avait fait preuve, dans une moindre mesure, lorsqu’elle était venue le trouver ici, il y a de cela plusieurs semaines, plusieurs mois, même. Une agressivité dont, malgré son agitation, elle semble presque en cet instant dépourvue. Presque, parce qu’il ne fallait pas non plus exagérer et qu’elle restait brusque, dans ses paroles, comme dans ses gestes. Pour autant, Luke se détend quelque peu car il sait qu’elle ne l’attaquera pas, pas aujourd’hui, en tout cas. Et il approuve d’un simple geste de la tête à cette affirmation alors qu’il laisse ses muscles se détendre quelque peu. Très bien. Il accepte de l’écouter, donc et s’efface pour la laisser entrer, lui faisant signe de, si elle le souhaite, s’installer à l’intérieur.

Pour autant, il se rend compte qu’il est très loin d’être au bout de ses surprises et ne peut s’empêcher de l’exprimer à voix haute alors que ses mots lui échappent, à mi-chemin entre la question et l’exclamation : « Pour m’aider ? » Mais il n’a pas besoin de demander de plus amples explications car déjà, elle s’empresse de les lui donner. Et s’il garde le silence après sa révélation, c’est bien car une fois de plus, elle arrive à le surprendre. Avec une information qui, une fois de plus, le laisse un instant sans voix, empli d’un étonnement perplexe. Doit-il seulement la croire ?

Il sait, pourtant, qu’elle ne ment pas, mais il ne parvient pas à comprendre comment il a pu passer à côté d’un autre Jedi pendant tant de temps. Comment il a pu ne jamais le sentir dans la Force, comment il a pu ne même pas s’apercevoir de sa présence sur cette île, alors même que son lien avec la Force est redevenu aussi puissant, aussi stable qu’avant. Mais il n’avait jamais su… Et au-delà de son incompréhension, c’est l’excitation qui commence à monter en lui. Si elle a raison, si elle a vraiment raison… Il y a un Jedi, ici. Un autre Jedi. Un qui a probablement connu l’Ordre dont il n’aura jamais eu que quelques archives éparses, quelques holocrons plus rares encore. Quelqu’un avec qui il pourrait échanger, pour en apprendre plus – pour lui en apprendre, aussi, pourquoi pas. Et cette nouvelle est, pour Luke, une nouvelle dont il a parfaitement conscience du caractère exceptionnel.

Mais il y a autre chose, dans les propos de Trilla, qui l’intriguent, au-delà de l’énormité de cette nouvelle. Elle n’a pas fait que repérer un Jedi en faisant l’effort de ne pas le tuer – ou en étant une nouvelle fois défaite, peut-être. Elle lui a parlé. Probablement plusieurs fois. « Pouvez-vous m’en dire plus, sur ce Jedi ? Qui est-il ? Que fait-il, actuellement ? » Bien sûr, il ne parlait pas en cet instant même, mais de façon générale à Silvergate. Il était preneur de toute information qu’elle pourrait lui fournir. Pour le retrouver, déjà ; pour avoir, surtout, plus d’informations sur la relation qu’ils pouvaient entretenir. Parce qu’ils se connaissaient. Et Luke était assez curieux de savoir jusqu’à quel point.

Il n’est pas dur d’imaginer tout ce que Trilla ne dit pas, pas quand on a, comme Luke, aussi bien étudier cette période. Il a passé des heures durant à tenter de comprendre, au travers des quelques rares holocrons qu’il a pu retrouvés, sauvés par la Rébellion, bien sûr, mais également grâce aux images de propagandes diffusées par l’Empire. Il n’avait nul besoin, alors, qu’elle lui fasse le récit de ce que cet ancien Padawan avait vécu à l’avènement du Côté Obscur, pas plus que des horreurs dont elle-même avait été victime ; il savait. Et il savait aussi, il n’avait eu aucun mal à le comprendre, que c’était ces horreurs qui avait fini par la faire devenir ce qu’elle avait été dans leur monde. Ce qu’elle pensait encore être, probablement, même si l’armure qu’elle s’était forgée pour supporter cette vie qui n’en était pas une semblait se fissurer face à cette liberté retrouvée. Et donc, visiblement, face à cet ancien padawan, face à ce chevalier Jedi dont Luke ignorait jusqu’à aujourd’hui l’existence. Luke ne peut s’empêcher d’esquisser un sourire à cette idée, un sourire qu’il réprime pourtant, pour ne surtout pas prendre le risque qu’elle puisse penser qu’il se moque d’elle.

Il n’en est pas question et il attend même quelques instants pour que sa voix ne laisse paraître cet amusement dans ses mots : « Je vous remercie pour ces informations, je suis curieux de pouvoir le rencontrer, en effet et ne tarderait pas à aller le voir. » Il approuve, d’un signe de tête, a pris soin de soigneusement enregistrer les mots de la jeune femme ; il ne doute pas pouvoir le retrouver, même dans un lieu comme Blackridge, aussi densément peuplé que pouvait l’être Coruscant elle-même. Pour autant, il sait qu’il ne répond pas à sa requête, ainsi et c’est avec une expression des plus neutre, loin de toute provocation, qu’il demande : « Mais êtes vous certaine, Trilla, que ce soit là la solution ? »

Déjà, Luke a laissé lentement s’écouler dans la Force son excitation, toutes ses questions, pour revenir à une calme concentration. Et s’il est concentré, en cet instant, ce n’est même plus vraiment sur la nouvelle en elle-même, aussi surprenante qu’elle soit  et malgré toute son importance  - et il était sincère, bien sûr, dans l’intérêt qu’il lui a apporté et dans la célérité qu’il pourra mettre en œuvre pour retrouver ce Jedi inconnu de lui. Mais pour le moment, c’est sur la messagère, que Luke dirige toute son attention. Il ne comprend pas exactement pourquoi elle est venue vers lui, ce qu’elle espère de son intervention exactement. Mais une chose est certaine, il ne pourra lui donner ce qu’elle cherche : « Vous savez, il n’aurait aucune raison de m’écouter, même si j’acceptais de lui demander une telle chose. » Il secoue légèrement la tête, Luke, même s’il retrouve l’ombre d’un sourire bienveillant, alors qu’il reprend : « Et je suis certain que ce que vous appelez faiblesse n’est autre que votre humanité. Je ne peux lui demander une telle chose, Trilla, mais je pense que vous devriez lui parler. Et peut-être que vous découvrirez dans sa présence une nouvelle force insoupçonnée. »

En temps que Jedi et s’il avait suivi les enseignements de l’Ordre, nul doute qu’il aurait prôné leur éloignement le plus complet, sachant à quoi pouvait mener l’attachement. Mais s’il s’efforçait, lui, de rester le plus éloigné possible de ces types de sentiments, il savait également qu’il était vain de vouloir lutter contre à tout prix, contre son propre cœur. Il était certain, en sentant les vibrations nerveuses qui émanaient de l’ancienne Inquisitrice, que la présence à ses côtés de ce Jedi, de ce Cal, étaient bien loin d’avoir la mauvaise influence qu’elle lui prêtait. Et si elle était venu jusque chez lui, c’est que les sentiments, quels qu’ils soient, qu’elle pouvait développer à son égard, étaient assez fort pour réellement la perturber. Ne restait plus désormais qu’à lui faire admettre qu’elle pouvait se laisser aller à s’écouter, un peu… Ca serait long, probablement, vu son côté entêté et Luke n’était pas à l’abri qu’elle prenne mouche et quitte les lieux – ou qu’elle tente de l’attaquer. Mais peut-être qu’à force de patience, il saurait commencer à lui faire entendre raison. Admettre des sentiments positifs serait, il en était certain, les premiers pas vers sa rédemption.

Luke sait la violence dont à pu faire preuve l’Empire. Toute sa jeunesse, il en a lui-même été épargné, protégé par son oncle et sa tante ; rien, cependant, ne saurait effacer de son esprit les images des corps suppliciés de ceux qui l’avaient élevé comme leur fils. Il n’avait donc aucun mal à imaginer cette scène d’exécution qu’elle évoquait, alors même qu’elle n’en donne aucun détail. Pas plus que la traque qu’elle avait fait du fameux Jedi, ni même des tortures imposées par Vador. Pourtant, il ne tressaille pas, Luke. Si le sourire s’est effacé sur les traits du Jedi, il n’y a aucune sévérité dans son regard, pas plus que de jugement dans toute son attitude. Il écoute, simplement. Il écoute et il entend, au-delà des mots. Cette peur qui est sienne, celle dont elle n’a peut-être même pas vraiment conscience, ou en tout cas, pas pour les bonnes raisons, mais qui l’a poussé à le rejoindre ici aujourd’hui.

« Ne croyez-vous pas que c’est à lui de le décider ? Vous pouvez toujours penser que cela est stupide, mais la responsabilité de vous détester n’appartient qu’à ce jeune homme. Et s’il ne le fait pas, c’est très certainement qu’il a vu quelque chose en vous que vous-même ne pouvez voir aujourd’hui. » Il aurait pu en rester là, Luke. Simplement tenter de la convaincre, ou même mettre fin à leur conversation qui, de premier abord, paraissait des plus stériles. Mais il ne peut s’y résoudre, pas encore. Pas quand il sent lui-même qu’il y a autre chose, sous cette colère affichée, sous cette rage assumée. Pas quand il sent ce doute que l’autre a d’autant plus mis à jour. Il ne peut croire, une fois de plus, que l’ancienne Inquisitrice est totalement acquise au Côté Obscur. Il veut croire qu’en elle réside encore cette Lumière qui mérite d’être sauvée.

« Croyez-moi, Trilla, il n’est jamais trop tard. » Un soupir, qui s’échappe des lèvres du Jedi et par réflexe, pour la première fois depuis qu’ils se connaissent, il détourne les yeux pour les poser sur le paysage au travers de la fenêtre, baissant presque sa garde. Ce qu’il va raconter, il ne l’a dit qu’à si peu de personnes qu’elles se comptent aujourd’hui encore sur les doigts d’une seule main. Et pourtant. Et pourtant, il décide de lui faire assez confiance pour lui confier ce si précieux secret. « Je vous ai dit que Dark Vador était mon père, oui. Mais ce que peu savent, c’est qu’il est mort en me sauvant la vie. En rejetant le Côté Obscur. Je ne sais si tel est votre désir, ni même si vos intentions pourraient-être celles-ci, mais il n’est jamais trop tard. Et si ce jeune Jedi a trouvé la force de vous pardonner, peut-être pourriez-vous accepter cette affection qu’il vous offre. » Le mot n’est pas choisi au hasard et Luke se demande s’il ne fera pas plus encore réagir la jeune femme, mais il prend le risque. Il prend le risque de provoquer chez elle une véritable colère. Peu importe, au fond. Car il ne sera jamais trop tard pour Trilla. Comme il n’a jamais été trop tard pour Anakin.