La nuit tombait, silencieuse et calme. Au loin, quelques rares rayons du soleil continuaient de baigner le ciel dans cette teinte orangée qui pouvait donner du charme à n’importe quel paysage. Un charme qui n’attendrissait pourtant pas Murtagh, montant la garde sur le balcon d’un immeuble en périphérie de la ville. La hauteur, c’était ce qu’il avait cherché alors que ses quelques années dans l’armée lui avaient laissé un apprentissage bien plus utile qu’il ne l’aurait cru. Lui qui avait maudit cette part de sa jeunesse alors qu’elle allait à l’encontre de ses volontés, il ne pouvait que reconnaître désormais que c’était peut-être grâce à elles qu’il tenait jusqu’à présent. Et certainement grâce à elles qu’il avait pu jouer son rôle il y a quelques nuits deçà, lorsque les communautés avaient été prises d’assaut. Lui qui vivait en parfaite âme de solitaire, il n’avait jamais cherché à se mêler de quoi que ce soit auprès de ces groupes qui vivaient en autonomie. Et pourtant, quand ils avaient été touchés, il s’était trouvé présent et s’était battu. Il avait du mal désormais à continuer sa route seul, comme il avait tant aimé le faire depuis le début de cette fin du monde. En fin de compte, ils étaient tous concernés parce que chacun faisait et il avait suffi de la folie d’un homme pour foutre la merde. Ainsi, Murtagh restait dans le coin, proposant ses services pour agir sans appartenir à personne, tout comme l’aurait fait un mercenaire. Cependant, il n’en était pas un, le jeune homme ne faisait pas ça par profit, mais peut-être pour trouver la place qui serait sienne.

Pour l’heure, sa place était à la surveillance. Bien que ce soit relativement calme, l’ancien militaire ne se laissait pas distraire. Désormais, il n’y avait pas uniquement la menace des morts à prendre en compte, mais aussi celle des vivants. Murtagh n'avait jamais eu réellement foi en la condition humaine – principalement par son rejet de sa propre famille – et ces derniers jours lui avaient prouvé qu’il avait raison de ne pas y croire. L’humain restait finalement l’ennemi le plus dangereux, le plus fourbe et il fallait désormais se méfier de tout. Pour que toutes les communautés puissent être touchées sans avoir réellement de contact entre elles, il fallait avoir usé de beaucoup de ruse, or, l’ancien militaire refusait d’être celui qui se ferait à nouveau avoir.

Il finit pourtant par quitter son perchoir, descendant les quelques étages en trottinant, pour déboucher sur la rue aussi vide qu’elle l’était précédemment. Il souhaitait changer de point de surveillance, continuant son quart avant d’aller passer la relève à un comparse. Il ne pouvait plus se contenter d’agir comme auparavant, alors que la façon de survivre ne pouvait plus être la même. Lui qui avait déjà du mal à accorder sa confiance, ça n’allait en rien s’arranger. Il fallait désormais se méfier de tout et notamment des inconnus. Les garanties ne tenaient plus et cette pensée lâcha un soupir d’exaspération chez le brun. Où allaient-ils donc tous finir ? Des réflexions qui ne cessaient de tourner en rond dans son esprit et dont il doutait de trouver une réelle réponse.

Si la solitude était propice à ce genre de questionnement, la situation changea bien vite quand Murtagh crut apercevoir une silhouette plus loin. Il n’était pas certain, mais alors que tout était calme, il avait pris la direction où il lui semblait l’avoir vu pour tenter de savoir s’il s’agissait d’un mirage de son esprit ou la réalité. Il n’était pas tard et la fatigue était loin de lui tomber dessus, seulement l’ancien militaire avait déjà entendu parler des tous qui pouvaient se jouer pour tous ceux qui restaient seuls un long moment. Mais là, ce n’était pas un tour, alors qu’il aperçut une jeune femme un peu plus loin.

— Eh, tu es perdu ?

Murtagh n’avait pas perdu de temps pour l’interpeller. Après tout, c’était son rôle que de se méfier de quiconque pouvait se montrer. Il suffisait du plus innocent des inconnus pour cacher la plus grande des arnaques. Et il le savait bien, pour avoir côtoyé certaines personnes sachant parfaitement se cacher sous de belles phrases. Alors là, même si la jeune femme ne semblait en aucun cas dangereuse, il préférait se montrer et, peut-être, en savoir plus. Car après tout, il devait certainement rester des personnes qui n’appartenaient à aucune communauté et dans ce cas, il fallait redoubler de vigilance.

— Je peux t’aider ?

Une première approche, qu’il ne voulait en aucun cas menaçante, mais qui lui permettait d’ouvrir l’échange.

Il est vrai que, même si Murtagh était de garde ce soir-là, il s’était plutôt attendu à croiser des morts – qu’il aurait fallu achever – plutôt que des survivants, solitaire de surcroît. Pourtant, lui aussi était un solitaire, qui avait cependant renié cette caractéristique pour prêter main forte suite aux derniers évènements. Il avait participé pour lutter contre cette milice et le jeune homme n’avait pas eu cette volonté de repartir comme si de rien n’était. Peut-être le referait-il dans quelques jours, quelques semaines, lorsque le traumatisme de l’attaque serait passé, mais en attendant, il restait là, faisant des tours de garde et partageant ses quelques connaissances militaires à qui en avait besoin.

Mais il n’était là pour jouer le méchant, la menace qui ne laissait personne passer. C’était pour cela qu’il s’était montré courtois avec l’inconnu, sans pour autant se laisser aller à la sympathie. La méfiance le poussait à garder ses distances le temps de l’interpeller, mais il n’allait pas non plus l’accuser immédiatement de vouloir s’en prendre à une quelconque communauté. En fait, il se voyait presque à la place de la jeune femme, lorsqu’il avait cherché à rejoindre le petit groupe de rebelle. On aurait pu ne pas lui accorder de confiance, l’associer à l’ennemi sans le connaître, mais non. Alors il en faisait de même, laissant le bénéfice du doute et préférant croire à une âme égarée qu’à un être maléfique. D’autant qu’après l’avoir entendu, la brune ne se montrait ni menaçante ni sur la défensive. Au contraire, ses mains levées, malgré l’arme dans son dos, semblaient montrer une bonne foi évidente.

À son « bonjour », Murtagh s’était quelque peu rapproché. Il restait méfiant, mais n’était pas non plus craintif. Il connaissait ses forces et, surtout, avait fait du repérage plutôt pour connaître sa zone.

— Tu viens d’où ?

Certes, la question n’était pas des plus aidante au jeune homme pour savoir s’il pouvait faire face à une potentielle menace ou non, mais elle avait le mérite d’entamer un échange qui l’aiderait par la suite. D’autant qu’elle semblait accepter son aide et si elle disait vrai en annonçant arriver à Silvergate, il pouvait comprendre que le dépaysement n’aidait pas. Déjà, en temps normal cela pouvait être difficile, mais maintenant, c'était tout autre chose.  

— Je m’appelle Murtagh. Je donne un coup de main pour protéger la ville. Et toi ? Qui es-tu ?

Certains diraient qu’il fallait se méfier de donner son identité, mais Murtagh n’était pas de cet avis. Du moins, plus maintenant qu’il fallait faire la guerre aux morts comme aux vivants. Au mieux, il pouvait avoir une réputation qui aiderait à mieux le cerner – ce qu’il ne pensait pas forcément avoir – et au pire, il restait un inconnu. Donc il n’allait pas chercher à mentir ou dissimuler son identité sous le principe qu’il ne pouvait faire confiance à la jeune femme. Et c’était bien pour ça qu’il lui avait retourné la question, cherchant à savoir si son nom sonnerait dans sa mémoire. À première vue, il ne pouvait prétendre la connaître, mais depuis que le jeune homme se mêlait aux autres, il entendait ce qui se disait et les connaissances circulaient ainsi.

Il était désormais à quelques petits mètres de la brune, sans aborder le moindre air menaçant. Ses armes restaient rangées, mais faciles d’accès, et il se contentait de faire ce qu’il proposait : apporter son aide. Pour la suite, il aviserait au fur et à mesure, conscient qu’il n’allait pas non plus donner d’informations importantes sans avoir pu en apprendre plus.

— Comment je peux t’aider ? Tu cherches quelqu’un ou quelque chose ?

Avancer doucement, mais sûrement. En creusant un peu, Murtagh espérait pouvoir se faire un schéma de la jeune femme et ainsi en tirer des conclusions. Il ne restait plus qu’à savoir ce qu’elle lui répondrait et si elle accepterait de lui dire ce qu’il attendait.

Il était vrai que Murtagh avait l’impression de marcher sur des œufs avec cette jeune femme. Non pas qu’il craignait de faire un faux pas auprès d’elle, mais il était obligé de faire preuve de prudence et de sureté. L’attaque des miliciens était encore bien trop récente pour faire preuve de relâchement et s’il lui fallait rapporter le passage d’une étrangère dans les environs à qui de droit, le jeune homme se voulait d’avoir toutes les informations nécessaires à transmettre. Heureusement, l’échange semblait bien se faire. Les réponses qu’il obtenait était simple, mais suffisante pour le brun. Certes, n’étant pas expert en géographie, il ne pouvait pas localiser le Comté de Madera, ni même la façon dont les habitants de cette région avait réussi à survivre, fuir ou si la brune était la seule rescapée de cette apocalypse dans laquelle tous se trouvait. Mais ce n’était pas le genre d’information qu’il cherchait. Parfois, certains disent d’où il venait géographiquement, mais d’autre évoquait aussi une ancienne communauté, et c’était plutôt à ce genre de détail que le jeune homme prêtait attention. C'était les communautés et autre regroupement qui pouvait créer de l’inquiétude et de la méfiance chez lui. Il savait qu’il en existait, parsemé un peu partout là où les survivants se retrouvaient, mais si certaines n’étaient pas à craindre, d’autres l’étaient.

— On est nombreux à avoir pas mal bougé à cause des morts.

Ça, il ne pouvait pas le nier, lui-même ayant fait partie des bourlingueurs. En vérité, il était un peu comme l’impression que lui laissait la jeune femme : sans accroche, allant là où ses pas le menaient. Cela avait ses avantages, mais aussi ses inconvénients, bien que ces derniers n’étaient pas assez nombreux pour le faire changer d’avis. Murtagh appréciait d’évoluer seul, sans n’avoir personne pour le brider ou le contraindre à agir autrement que selon ses plans à lui. Et c’était bien pour ça qu’il se présentait tel qu’il l’avait fait, car même s'il aidait, il ne se considérait pas comme étant de l’une des communautés évoluant dans le coin.

Il put alors apprendre qu’elle se nommait Lucy Gray et, définitivement, ce nom lui était inconnu, un bon point à ses yeux. Au moins, ce n’était pas un nom qu’il aurait pu découvrir de la bouche de “l’ennemi” ou qui n’avait pas mauvaise réputation. Elle n’était donc que cette “fille normale” qui atterrissait dans cette ville aux aguets, devant un ancien militaire lui faisant l’interrogatoire.

Pourtant, même si cette "normalité” était évoquée, Murtagh n’en baissait pas sa garde et restait attentif à la suite de ses propos. Notamment lorsqu’elle commença à déballer une explication qui fit tiquer le brun et le fit se tendre involontairement. Une armée ? Était-ce celle de la milice qu’ils avaient su stopper ou quelque chose de plus gros ? Ou bien encore l’armée à laquelle le jeune homme avait jadis été affilié et qu’il avait rapidement déserté au début de cet apocalypse. Des suppositions sans réponse qu’il n’aimait pas avoir. Le brun avait ce besoin de concret et pas d’incertitude, d’autant qu’ils avaient eu la preuve que les morts n’étaient pas le seul danger régnant. Preuve qui ne faisait que se confirmer...

— De qui tu parles ? Qui sont ces gens ?

Murtagh aurait pu immédiatement dire qu’ils avaient essuyé une attaque récemment, mais il voulait d’abord essayer de voir s’il y avait un lien avec les propos de Lucy Gray ou non. Si c’était le cas, il pouvait alors l’avertir que ce danger était désormais écarté, mais si tout cela annonçait une attaque prochaine, il ne préférait pas dévoiler d’informations sur ce qu’ils avaient vécus.

— Je transmettrais ton information, mais il me faut plus de détail. Comment les connais-tu ? Est-ce que tu connais leur nombre ? Je vais devoir leur transmettre tout ça.

Etrangement, le manque d’information pouvait rendre Murtagh bien plus loquace qu’il ne l’était habituellement. Et sans non plus dévoiler le nombre de dirigeant, ni même la présence de plusieurs communautés, il n’était pas non plus à accuser la jeune femme d’être là pour leur causer du tort. Il ne pouvait que remercier son habitude à jauger chaque situation comme si elle pouvait être critique pour gérer cet instant. Car il ne pouvait nier que les connaissances de Lucy Gray pouvaient être suspect, mais si on pouvait autan la considérer comme venant recueillir des informations, l’inverse pouvait être tout aussi vraie : elle pouvait avoir déserté. Alors l’ancien militaire que tout dépendrait de ce qu’elle continuerait de lui dire ou non.

— Est-ce que tu fuis un danger ?

Une question qui n’était pas si bête qu'elle en avait l'air, alors que là aussi, cela l'aiderait à se faire son avis sur la situation.

Murtagh ne pouvait pas dire qu’il aimait jouer le rôle de gendarme, et encore moins lorsqu’il devait se méfier de tout et de tout le monde. C’était bien pour ça qu’il restait seul jusqu’à présent, pouvant ainsi compter sur lui-même sans avoir la responsabilité des autres mis en jeu dans ses décisions. Mais là, il avait accepté d’aider alors il devait le faire, cherchant à voir ce qu’il pouvait dire ou non à la jeune femme qui s’était manifestée. Or elle visait juste dans ses paroles. Les morts n’étaient pas les seuls à craindre quand les vivants pouvaient se montrer tout aussi dangereux. Et c’était bien en gardant cette idée en tête que le jeune homme tentait d’en savoir plus, d’autant que le peu d’information qu’il recevait jusqu’à présent était si flou.

Mais heureusement, le brun n’eut pas à insister davantage. Il restait silencieux le temps des explications de Lucy Gray, bien que son esprit ne cessait de faire le lien avec les derniers évènements. Elle semblait donc connaître le groupe de ces enfoirés qui avait manqué de faire plier les communautés, mais elle ne semblait pas non plus leur être loyal. Un bon point pour les survivants ? Peut-être, mais là, ça ne relevait pas de ses propres choix.

— Donc tu n’es pas avec eux ?

Cela semblait évident face à ces propos, mais Murtagh avait eu besoin de le formuler à voix haute, comme pour avoir confirmation. Il ne doutait plus à présent que tous deux pensaient au même groupe d’hommes, bien que la brune ne semblait pas savoir qu’ils avaient déjà tenté de mettre à exécution leur plan. Et même si elle avait éludé la question de sa fuite d’un danger, l’ancien militaire s’était mis à faire le lien avec ces hommes. Bien sûr qu’ils fuyaient tous un danger, mais Murtagh préférait de loin fuir les revenants – qui se montraient lents et peu intelligents – que les vivants.

— Bien sûr que nous fuyions tous, mais il y a des dangers bien plus dangereux que d’autres. Et je ne parle pas des morts.

Murtagh s’était accordé à lui faire confiance. Même si Lucy Gray pouvait avoir en tête de le manipuler, il considérer que sa volonté de les mettre en garde - même trop tard (bien qu’elle ne pût le savoir) - suffisait pour lui accorder du crédit.

— Tes soldats, ils sont déjà passés, mais ils n’ont pas réussi à faire aboutir leur plan. Les survivants ont résisté et on eut gain de cause. C’est à cause de cette attaque que je suis obligé de me montrer méfiant, je pense que tu peux comprendre.

Elle avait joué la carte de la franchise, alors lui aussi. Murtagh ne pouvait pas non plus jouer le rôle du chien de garde tout le long de leur échange, d’autant qu’elle faisait preuve de coopération. Alors il pouvait bien se montrer un peu plus sympathique que le gars qui restait sur ses gardes.

— Comment as-tu réussi à leur échapper ? Tu as profité qu’ils soient venus ici ?

Ce n’était désormais plus par nécessité de mener une enquête que le brun l’interrogeait, mais par curiosité. Il savait qu’il ne fallait pas juger quelqu’un à son apparence, mais quand il voyait ce que les miliciens avaient fait aux différentes communautés, il devait se montrer surpris, même face au fait qu’elle avait parlé de les semer. Eux avaient dû se servir d’une troupe de revenants pour les affaiblir suffisamment et c’était sans compter sur les stratégies mises en place à l’intérieur pour achever de les repousser.