Les premières notes de Teenage Dream résonnent, et Gaia elle ouvre les yeux en grognant après son alarme. Quoi, déjà le matin ? Elle se traîne jusqu’à la salle de bains, s’asperge le visage.

You think I’m pretty without any makeup on, résonne la voix de Katy Perry sur son téléphone, tandis que Gaia applique une base de teint hydratante suivie d’une CC crème effet “peau nue”. You think I’m funny when I tell the punch line wrong. Une fine ligne de crayon sombre pour intensifier l’éclat de son regard, une touche de gloss transparent. I know you get me, so I let my walls come down, down. Gaia retire son bonnet de nuit, défait sa tresse et laisse retomber ses boucles naturelles. Quelques instants plus tard, elle est de retour au lit, prenant la pose pour son selfie matinal.

La journée de Gaia commence comme toutes les autres, et elle est à mille lieues de s’imaginer qu’avant l’heure du dîner, son existence toute entière aura basculé. Un regard ensommeillé, un sourire adorable, un commentaire - GMG pour “Good morning, guys !” et elle se lève à nouveau, afin d’aller cette fois se préparer véritablement pour la journée. Elle enfile une jolie robe rouge, épingle une rose assortie dans son chignon, et élabore sur la base “nude” de tout à l’heure un véritable maquillage de jour.

Autrefois, se faire belle et le partager à ses followers était la plus grande joue de Gaia. Mais aujourd’hui ? Les journées défilent les une après les autres et se ressemblent toutes. Plus le temps passent, et plus tout cela lui paraît être une corvée. En d’autres termes, elle se fait grave chier. Et elle a vraiment envie de trouver un autre sujet à prendre en photo. N’importe quoi, sauf elle. Enfin, n’importe quoi, sauf…

- What the hell is that ?! demande-t-elle au Diligent à qui ses parents ont payé un place sur l’Ark en échange de la mise à disposition privative de ses talents de chef.

A tableau, un plateau d’argent - un seul, vu que sa mère jeune en ce moment et est partie faire une séance de luminothérapie et que son père a un rendez-vous avec l’Oracle Prime et quelques autres membres influents du Conseil d’Administration. Et dessus ? Plusieurs petites assiettes. Un disque de pain tranché en deux sur une assiette, du fromage frais sur la suivante, du saumon fumé sur une autre, puis des oignons, des câpres, une sorte de cavier, et enfin, l’autre moitié du pain.

- Well, zis is a déconstructid bageul ! répond le chef avec son accent français à couper au couteau.

Gaia lève les yeux au ciel. Out. Le Diligent ne se fait pas prier. Gaia tartine un peu de fromage sur l’une des moitié du bagel, y met l’une des tranches de saumon, et grignote sans vraiment d’apétit. Elle glisse une pomme dans son sac à mains et quitte la salle à manger à grand pas. Dans le salon, une autre Diligent passe la serpillère.

- Consuela ? la domestique lève aussitôt la tête. Je vais faire un tour. Je n'ai plus faim, alors mange ce que tu veux, tant que la table est débarrassée quand je ma mère rentre.

- Bien, Mademoiselle Gaia. Je vous remercie, Mademoiselle Gaia.

Mais la jeune femme est déjà partie sans même écouter la fin de sa réponse.

Il y a toutes sortes d’activités pour les jeunes Primes. Même si sa caste est loin de constituer la majorité des occupants du bunker, une superficie importante leur est dédiée. Elle pourrait aller voir un film, faire un tour au roller rink, traîner à la cafétéria, aller se faire masser avec ses amies… Mais rien ne la tente, et surtout pas d’aller traîner avec cette bande de pétasses prétentieuses.

Non, Gaia a vraiment envie de trouver quelque chose d’intéressant à photographier. Quelque chose de nouveau. Quelque chose d’unique. Alors, ses pas la portent de plus en plus loin des endroits qu’elle a l’habitude de fréquenter, jusqu’au secteur où les Fortunate peuvent se détendre après le travail, et finalement, jusqu’à un couloir de service qui n’est probablement emprunté que par des techniciens - Fortunate ou Diligent, elle ne saurait même pas à vrai dire, tout comme elle ne sait pas que les fruits de la corbeille dans sa salle à manger proviennent de la serre du troisième étage, et le saumon des aquariums du cinquième.

Alors qu’elle envisage de rebrousser chemin, convaincue qu’elle ne trouvera rien par ici, elle aperçoit soudain la silhouette familière de la femme qui fait régulièrement du botox et autres ravalement de façades à sa mère. Docteur Fenhill, non ? Sans trop savoir pourquoi, Gaia commence à la suivre discrètement, s’engageant comme elle sur une échelle montant vers le haut, passant par une trappe que celle-ci a laissée ouverte, pour finalement émerger dans un hall qui mène… dehors ?!

Wait, didn’t the world, like, blow up eleven years ago ?

Et pourtant, les rayons d’un soleil hivernal éclairent des arbres aux feuilles tombées ou aux aiguilles éternelles et, non loin, des bâtiments qui semblent parfaitement intacts. Stupéfaite, Gaia n’a pas d’autre réflexe que de sortir son argentique de son sac à main - un cadeau de son grand-père, il y a bien longtemps.

Elle cadre : le lever du soleil, les arbres alentours, un écureuil perché sur une branche, et la silhouette d’une femme s’avançant vers la ville intacte et paisible.

CLIC résonne l’appareil photo.

Selfie, désconstructid bageul et spa en troupeau de hyènes à talons aiguilles ? Y a vraiment plus que ça, dans la vie ?

Gaia n’aurait jamais cru qu’elle en aurait marre du luxe, et pourtant, elle est en train de péter un plomb. Elle a envie de voir autre chose. De trouver un truc unique à photographie. Juste de changer de décor, en vrai. Alors, elle s’aventure dans des secteurs du compound qu’elle ne connaît pas. Des secteurs que sa mère qualifierait sûrement de dangereux, enfin, si elle en avait quelque chose à faire de comment sa fille passe ses journées.

Elle tombe sur le Docteur Fenhill - celle qui fait les liposuccions de sa mère, entre autres - et sans savoir pour quoi, elle la suit. Jusqu’à une trappe qui mène… Dehors ?

C’est pas possible. Le monde a pété y a plus de dix ans. Y a rien, dehors… Pas vrai ?

Le soleil levant orne tel un orfèvre les arbres alentours, l’écureuil sur sa branche et la silhouette d’une femme s’avançant vers la ville intacte et paisible. Gaia cadre, et elle prend la photo la plus fantastique de sa vie.

Le Docteur Fenhill l’interpella soudain. Qu’est-ce qu’elle faisait là, elle ?

Brièvement, comme une gamine prise en tort, Gaia eut l’instinct de prendre la fuite. Et puis elle se ravisa. Elle prenait juste une photo. Elle n’avait plus 15 ans, même si la société du bunker traitait les jeunes Primes comme d’éternels adolescents. Et ce n’était pas comme si Marilyn pouvait lui attirer des ennuis. Elle ne voulait pas s’en aller. Elle voulait en apprendre davantage, en voir davantage.

Je cherchais un truc cool à prendre en photo. Et ça, c’est vraiment cool ! Ca fait longtemps que tu sors à la surface ?

elirose

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