Des jours, des semaines, et des mois avaient passé, sans doute. Au fond, Sebastian avait perdu la notion du temps depuis un moment. Il avait bien essayé de rester connecté à la réalité, mais après autant de temps dans la noirceur de ce cachot, il ne savait plus vraiment quand le jour se levait ou quand il se couchait. Il ne voyait la lumière du soleil ou de la lune que lorsqu’il était sorti de son trou pour un nouvel interrogatoire. Il pouvait alors l’entre-apercevoir à travers des fenêtres pendant un court moment. Sauf que ça faisait un moment que ces interrogatoires étaient de moins en moins fréquents. Sans doute avaient-ils compris qu’il ne dirait rien au sujet des habitants d’Erith, ou au sujet des origines de sa sorcellerie. Ils avaient découvert son secret depuis longtemps, mais il ne mettrait pour rien au monde sa soeur jumelle en danger, même si pour cela il devait mourir au fond de ce cachot. Quant à Erith, et bien, il avait déjà dit suffisamment de choses pour comprendre que tout ce qu’il pourrait raconter serait interprété par le prisme de la religion, et que cela pouvait causer des dégâts irréversibles. La croisade qu’ils avaient évoqués lors du premier jour, avait-elle déjà commencé ? Honnêtement, le jeune homme songeait parfois qu’il méritait ce châtiment, pour avoir parlé sans réfléchir, en pensant apaiser les choses alors qu’il ne faisait que les empirer. Depuis lors, il se murait dans le silence, et les seuls sons qu’il émettait étaient dû à la douleur.

Peut-être qu’ils testaient une nouvelle méthode ? Le laisser seul jusqu’à ce que les ténèbres et l’isolement lui fassent perdre la tête ? Comment savoir ce qu’il se passait dans l’esprit malade de Frère Sourire-Mal-Placé ? Celui qui était toujours content d’apporter la souffrance, heureux pour tout ce qui était morbide. Et le cardinal, ce n’était pas mieux. Lui, il ne l’avait pas vu souvent. Mais lorsqu’il se pointait, Sebastian savait que c’était qu’il était bien décidé à obtenir quelque chose.

Les forces lui manquaient, et le jeune Sorcier gisait généralement sur le sol. Il avait renoncé à panser ses blessures voici un moment, ne craignant plus de baigner dans son propre sang. Le premier jour, l’une de ses mains avait été broyée, parce qu’ils pensaient qu’il s’en servirait pour faire de la magie. Il n’avait alors rien dit, parce qu’il faisait de la magie avec son coeur, et qu’il préférait éviter qu’on vienne le lui arracher. La douleur avait beau être constante, s’y habituer n’était pas envisageable. Plusieurs de ses os étaient brisés, ce qui amplifiait la souffrance de chaque interrogatoire. Il ignorait combien de litres de sang il avait perdu depuis qu’il était là, mais il aurait sans doute pu réanimer un cadavre avec. Le temps passait sans que Sebastian ne bouge, pour éviter d’avoir plus mal. Ses vêtements étaient depuis longtemps poisseux de sang qui séchait, et de sang qui reséchait par dessus, si bien que leur véritable couleur était depuis longtemps impossible à deviner.

Lorsqu’un épais brouillard pénétra dans les cachots, Sebastian se demanda un instant si sa vision qui se brouillait était un nouveau signe de la fin. Combien de temps serait-il maintenu en vie, de toute manière ? Peut-être que son corps était en train de lâcher, qui sait ? Mais en se concentrant un peu, il put entendre des cris étouffés de surprise, des jurons et autres choses qui lui faisaient étonnamment plaisir. Quelque chose n’allait pas. Il ne savait pas quoi, mais il en était content. Qu’ils aillent au diable… Enfin, peu importait où allaient les gardes et religieux fous, mais qu’ils y aillent, et qu’ils y restent…
Il se força à s’appuyer sur l’un de ses coudes pour se redresser, son vêtement se collant quelque peu sur le sang séché au sol. Il émit un grognement de douleur, le moindre mouvement était difficile. Il plissa les yeux pour tenter de comprendre ce qu’il se passait. Lorsqu’une silhouette se dessina devant les barreaux, Sebastian, tremblant, agit par réflexe comme un animal blessé, et se recroquevilla sur lui-même, en proie au doute. Allait-il se faire accuser par le Frère Sourire de faire de la magie en ce moment précis ? S’il avait pu faire quoi que ce soit pour sortir d’ici, cela faisait longtemps qu’il l’aurait fait.