Le monde tournait à l’envers, il n’y avait pas d’autres explications. L’ordre naturel des choses semblait des plus chamboulés, sans qu’Eretria ne puisse comprendre quoi que ce soit. C’était comme si elle avait été transposée dans un autre monde, et pourtant, c’était bien ce qu’elle connaissait qu’elle avait sous les yeux. Elle avait simplement du mal à y croire, alors qu’elle sortait d’une épreuve particulièrement… étrange. Elle qui s’était temporairement basée à Roselake, elle se trouvait désormais dans les sombres terres de Ravenbarrow. Sombres non pas par leur paysage, mais par cette nuit leur offrant un tant soit peu de fraîcheur. Pour celle qui avait voyagé de nombreuses fois, s’étant déjà rendu dans ce royaume, elle avait l’habitude de leur climat bien loin de ce qu’elle connaît à Orkney. Alors quel avait été la surprise de la jeune femme, lorsque bien rapidement, elle avait ressenti cette chaleur étouffante au point de rendre son voyage impossible. Eretria avait dû bien rapidement se trouver un abri jusqu’à enfin retrouver la fraîcheur de la nuit. Elle qui croyait s’être débarrassée de cette malédiction qu’elle avait vécue à Roselake, elle découvrait avec horreur que c’était loin d’être fini. Ces rayons luisants, dont elle avait été témoin, n’avaient en aucun cas témoigné de la fin de ce calvaire universel.

Une nouvelle routine s’était alors installée chez l’herboriste itinérante. Elle avait compris que pour continuer, il lui faudrait adopter ce mode de vie que prenait le royaume de Ravenbarrow. Vivre la nuit tout en trouvant refuge le jour. Elle n’avait pas d’autre choix que d’être ainsi, que ce soit par ces chaleurs insupportables surgissant dès que le jour se levait, bien pire que ce qu’elle avait pu connaître dans le désert de Orkney, ou tout simplement, car cela devenait le rythme des habitants de ce royaume. Ah, elle avait bien essayé de retrouver ce magnifique climat de sa région natale, mais il avait été impossible pour Eretria de le faire.

Rares étaient les obstacles insurmontables à ses yeux, mais face à celui qui s’était dressé à elle, la jeune femme n’avait eu d’autres choix que de rebrousser chemin. Surprise par ce brusque changement de température, découvrant avec horreur la froideur de son désert, l’herboriste aurait pu y laisser sa vie si elle avait persisté à tenter une traversée. Elle en avait d’ailleurs perdu une partie de ses herbes, n’ayant pu supporter ce brusque revirement de température. Entre l’étouffante chaleur des journées de Ravenbarrow et cette rudesse glaciale découverte dans le désert… Eretria avait vu certaines de ses herbes se dessécher à en devenir poussière, ou gelée jusqu’à en devenir inutilisable. Il lui avait fallu redoubler d’attention face à ce qui lui restait, sachant que certaines de ses plantes n’étaient trouvable qu’à des endroits éloignés de Silvergate. Là où elle ne pourrait retourner avant des semaines.

Eretria avait finalement rejoint l’un des rares plateaux de Ravenbarrow qu’elle s’autorisait à côtoyer. À vrai dire si elle pouvait se montrer à l’aise en ces lieux, ce n’était que pure illusion dont elle savait parfaitement jouer. À proprement parler, l’herboriste n’avait aucun grief envers ce royaume montagneux. Mais en bonne Orkney qu’elle était, elle ne pouvait mettre de côté les différents qu’il y avait entre ces deux royaumes, sans pour autant se fermer toutes les possibilités. Eretria préférait commercer avec d’autres, jouissant alors de la diversité qu'offrait chacune des régions de ce monde. Car elle ne pouvait le nier, elle serait bien limitée en se contentant uniquement des ressources d'Orkney. Alors elle faisait cet effort, cachant ses origines habilement, pour que celles-ci ne la trahissent pas. Peu à peu, lors de son voyage, Eretria avait compris qu'elle transportait une véritable mine d'or sur elle. Avec cette chaleur intense le jour et l'obligation de vivre la nuit, qu'en était-il des cultures de ce royaume ? De leurs plantes et de tout ce qui avait son utilité dans les soins, les décoctions et les poisons ? La jeune femme se rendait compte qu'avec son commerce ambulant, elle avait de quoi subvenir à certains besoins.

Cependant, alors qu'elle déambulait dans les rues de plateau commercial, prête à rejoindre une auberge, une tête reconnue la détourna de sa route, ravissant son visage d'un sourire. L’herboriste avait ses relations et elle mettait un point d'honneur à se souvenir de ceux qu'elle rencontrait, que ce soit lors d'un coup fourré ou lors d’une entraide précieuse. Or, ce visage qu’elle venait de reconnaître était celui de l'entraide et de l’alliance. Un homme qu'elle avait déjà rencontré pour lui avoir vendu certaines herbes.

— Le guérisseur est-il en mal de patient ?

Il avait fallu quelques enjambées à la jeune femme pour le rejoindre et l’interpeller. Le guérisseur. Voilà comment elle aimait nommer les autres, par leur rôle ou par un petit détail les caractérisant. Et mal prendrait celui qui y verrait le signe d'une mauvaise mémoire car cela serait sous-estimer l’herboriste qui aimait jouer avec les mots. Un passe-temps comme un autre en soit.

— Quel bon vent t'amène par ici ? Je sais que la nuit porte conseil, mais je crains qu'elle n’ait apporté plus de tourments entre ses murs.

Eretria n'avait peut-être pas été touchée par ces tourments, ne se trouvent pas en ces terres lors de ce qu'elle estimait être une première phase. Il y avait-il d'autres façons de décrire ce capharnaüm ? Cette première lumière sans explication qui l'avait enfermée dans une unique journée, puis ce second trait jaillissant du ciel pour mener ces étranges événements au sein des royaumes. La jeune femme était loin de savoir ce qu'il se tramait, mais elle ne comptait pas être laissée sur le banc de touche, alors qu’il y avait tant de mystère.

Les propos de Corin tirèrent un sourire à la jeune femme, qui ne pouvait que comprendre cette véracité. Il y avait des professions où le doute n’avait jamais été permis quant à l’origine de ses pratiquants, et d’autres, où il fallait constamment défendre son humanité, ou accepter de prendre le risque de jouer avec les apparences. Dans cette idée, Eretria appartenait à cette deuxième catégorie de personnes, alors qu’elle ne se souciait guère que ses connaissances des plantes ne la fassent passer pour une experte dans le domaine, ou pour une sorcière. C’était un sorcier qui lui avait enseigné une grande partie de ce qui lui avait été possible d’apprendre, et jamais elle ne regretterait ce passé, malgré la façon dont ces derniers étaient traités. Alors elle connaissait bien les réputations pouvant vite se faire, et pouvait sans problème imaginer ce que les patients du guérisseur pouvaient bien croire de certains de ses miracles. Des miracles dont elles-mêmes connaissaient le secret quand ceux-ci relevaient de l’usage de plantes.

— Soit assuré de ma présence le jour où tu essayeras de manger l’un de tes patients. Je ne tiens à rater ça en aucune circonstance.

Eretria ne pouvait peut-être pas prétendre connaître le jeune homme comme s’ils étaient des amis de longues dates, mais elle avait du mal à l’imaginer autrement que ce qu’elle savait de ce guérisseur. Un homme qu’elle recommandait quand elle le savait dans les mêmes environ qu’elle, et qu’elle n’hésiterait pas à aller voir elle-même le jour où elle en aurait besoin. Encore fallait-il que la jeune femme se laisse confier à quelqu’un d’autre, essayant de toujours de régler ses soucis sans l’intervention de quiconque. Son mentor avait été la dernière personne à réellement avoir cette possibilité, alors qu’à l’époque, la méconnaissance et la peur l’aurait tué. Depuis, elle s’était jurée de ne plus être ce pauvre petit lapereau blessé, attendant avec crainte son sort.

Si Eretria y croyait, elle aurait dit que le hasard avait bien fait les choses, en les faisant se rencontrer sur ce plateau commercial. Seulement, voilà, la jeune femme avait du mal à croire au hasard et aux coïncidences. Sans aller jusqu’à dire que toute sa route était déjà tracée, elle allait dans le sens où quelque chose jouait toujours en faveurs de rencontre ou d’événements. Après tout, était-ce un hasard pour que Ravenbarrow goûte à la vie nocturne après avoir vu son sommeil hanté de vision des plus cauchemardesques ? Il y avait forcément un sens à tout ce qui pouvait arriver, mais encore fallait-il le voir et le comprendre.

— Je tombe plutôt bien dans ce cas. Peut-être qu’en observant un peu ce que je peux avoir dans ma besace, tu te souviendras de quelle herbe te manque.

En soit, l’herboriste ne pouvait guère deviner pour lui ce qu’il était venu récupérer. Mais elle pouvait peut-être le deviner, connaissant chacune de ses herbes et les fonctions qu’on lui préfère. Entre la belladone pour une mort en toute discrétion ou la passiflore pour détendre les esprits effarouchés, il était rare qu’Eretria n’ait pas ce que d’autres cherche. Elle-même se forçait à une assiduité exemplaire dans la tenue de ses pochettes et contenant, cherchant alors à ne jamais manquer de rien. Et il en était de même pour ce carnet, glissé dans son sac, qui contenait toutes ses observations aux sujets de ses plantes. Rien ne lui échappait et il devenait difficile de la rouler dans ce domaine.

Mais elle n’avait pas encore suggéré des herbes, que Corin lui parlait d’une envie d’aventure. Ou plutôt d’enquête, cherchant à en découvrir plus sur ce qu’il se passait ces derniers temps. Un chemin qui pouvait s’avérer bien long, mais qu’Eretria ne pouvait prétendre ignorer, alors que telle était la raison de sa venue dans ce royaume.

— Et bien, je pourrais te conseiller de voyager vers le Nord pour te rapprocher d’Erith. C’est là que le mystique prend source ces derniers temps. Voyager vers le Sud est inutile, le désert d’Orkney est devenu infranchissable, même si je t’y guidais.

Telle avait été sa déception, quelques jours plus tôt, lorsqu’elle-même avait tenté de retourner là où elle avait vu le jour. Non pas qu’elle avait été prise d’une nostalgie rendant ce voyage des plus importants, mais après plusieurs semaines à subir les vices de Roselake, Eretria avait voulu y retrouver du pays. Peine perdue, ce qui l’avait alors mis sur une autre route.

— Mais nous pourrions faire ce voyage et cette enquête ensemble. Je ne peux pas prétendre connaître la situation – enviable ou non – D’Everwinter, mais concernant les autres royaumes, tous sont touchés par ces étranges événements. Je comptais monter jusqu’à Erith dans l’espoir d’en apprendre un peu plus.

Et comme elle n’avait aucun grief envers la magie, cela ne la dérangeait pas plus d’aller au-devant de celle-ci, alors que tout laisser croire que celle-ci était à l’origine de leurs désagréments.

Il fallait avouer qu’imaginer Corin en train de dévorer l’un de ses patients était une image assez étrange à avoir. Étrange et amusante à la fois, qui ne laissa pas Eretria sans un petit sourire amusé. Elle aimait bien cette image qu’elle avait sortie, sans vraiment y réfléchir, tandis que ce n’était pas souvent un sujet des plus sérieux. Tout était dit sur le ton de l’humour et, à vrai dire, après ces dernières semaines relativement compliquées, cela faisait du bien. Même si la vie semblait vivre à un rythme inversé au sein de ce royaume, c’était toujours plus supportable que les pluies diluviennes de Roselake. Un épisode que la voyageuse n’était pas prête à oublier après avoir passé plusieurs jours à les supporter.

— Ne t’en fais pas, je serais aux premières loges.

Comme toujours à chaque fois qu’il se passait quelque chose. Eretria n’évitait que très rarement de passer son chemin dès qu’elle avait connaissance de quoi que ce soit d’intéressant. Peut-être que ça ne lui apportait rien en tant que tel et en tant qu’herboriste, mais elle avait toujours été attirée par le moindre petit évènement. C’était d’ailleurs pour ça qu’elle n’était que de passage dans les environs, alors que sa destination était tout autre. La jeune femme restait à l’affut du moindre indice et c’était ceux-ci qui la guidaient continuellement. C’était comme si la moindre petite irrégularité l’attirait, à l’instar des chats attirés par la valériane.

Eretria ne put s’empêcher d’être flatté par les dires de Corin. Bien sûr qu’il risquait d’acheter plus, là était aussi sa propre stratégie. En ayant toujours un peu de stock sur elle, la jeune femme savait orienter ses clients sur des plantes plus ou moins attendus, s’assurant ainsi un gîte et un couvert le soir. Mais en général, elle restait honnête et ne cherchait pas à entourlouper ceux avec qui elle commerce. Du moins, pas ceux comme Corin, qu’elle apprécie. Pour d’autres, c’était à relativiser. L’herboriste aimait essayer d’en savoir plus sur de nouvelles têtes, jugeant par la suite le réel intérêt à vendre ses plantes. Il était déjà arrivé plus d’une fois, qu’elle s’amuse à vendre un produit différent que celui voulu à ceux qui ne lui inspirait pas confiance.

— Et ça ne fera que mon bonheur si tu me prends plus que tu ne le pensais, tu t’en doutes bien. Mais je te promets de ne rien te proposer d’inutile.

Pas à lui, c’était certain. Peut-être qu’elle ne le connaissait pas suffisamment pour jurer lui donner son entière confiance, mais Eretria l’appréciait. D’ailleurs, c’était grâce à ce détail qu’elle se permettait de lui en dire plus sur ses projets, et notamment sur son plan de rejoindre Erith. L’herboriste ne s’était encore jamais rendue jusque-là, ne l’ayant uniquement localisé sur la carte qui ne la quittait jamais et pour en avoir maintes fois entendu parler. Elle ne savait pas encore ce que ce voyage lui apporterait, mais c’était déjà un début dans ses propres recherches.

Le regard de Corin tira un léger rire à l’herboriste. À vrai dire, elle ne s’était pas réellement attendue à le voir réagir ainsi et ne pouvait rester insensible à cette tête qui se voulait suppliante. Même si l’attitude de Corin ne changeait en rien son idée de lui proposer de l’accompagner, elle ne pouvait qu’admettre qu’il continuait de la surprendre. Et puis, avoir un guérisseur dans le coin pouvait toujours avoir son utilité, même si Eretria savait s’occuper d’elle.

— J’attends de la voir cette histoire avant de la raconter. Si ça se trouve, on aura l’air bien bête là-bas sans réponse à tout ce bazar.

C’était une de ses craintes que ses hypothèses s’avèrent fausses. Heureusement, ce n’était pas ce qui la freinait, alors qu’elle avait l’habitude d’agir à sa guise, qu’importe les preuves ou les « on dit ». Après, pour ce qu’il en était de le raconter, elle restait relativement méfiante. Tout ça, ce n’était pas normal. Et Eretria avait assez voyagé pour savoir que ce qui n’était pas normal était rarement accepté. La tolérance ne semblait pas être leur fort, il suffisait de voir à quel point la magie était maudite dans les différents royaumes et ne menait aucunement à la prospérité. Une leçon qu’elle avait bien apprise, sans pour autant faire partie de ces personnes exclues des sociétés.

— Ce n’est pas sans risque, tu t’en doutes ? En nous trouvant non loin d’Everwinter, je ne sais pas comment est la situation là-bas. Ici, le monde tourne peut-être à l’envers, mais qui sait ce qui nous attend plus au nord. Entre les pluies diluviennes de Roselake, la chaleur qui est plus qu’étouffante à Orkney, je ne préfère pas m’avancer sur ce qu’on peut rencontrer.

Au moins, tant qu’elle n’avait pas à rester indéniablement dans la même journée, Eretria serait potable. Vivre la nuit plutôt que le jour apporte au moins le mérite de ne pas apporter des coups de soleil. Mais elle savait qu’il leur faudrait trouver régulièrement des refuges pour éviter de supporter des chaleurs assez élevées pour limiter les voyages.

— Par contre je ne vais pas m’éterniser ici, tu n’as rien de prévu ces prochains jours ?

Perdre du temps n’était pas dans les habitudes de l’herboriste. Alors même si elle s’amusait sur la situation burlesque de pouvoir manger des patients, elle délaissa bien vite celle-ci pour revenir au plus sérieux. Que ce soit ses herbes ou l’envie de vivre une « aventure », Eretria savait garder le sens des réalités et ne pouvait faire abstraction du dérèglement actuel. Bien sûr, que Corin lui achète des herbes lui ferait plaisir, mais finalement, cette idée aussi se faisait facilement évincer pour une autre. À croire qu’en fin de compte, les herbes n’avaient plus leur importance face à ce phénomène qui touchait Ravenbarrow. Eretria avait bien ce mot, celui de « magie » au bout de la langue, mais pour avoir été sous la protection d’un sorcier, elle savait qu’il n’était guère convenable de le laisser entendre à tout va. Elle n’avait certes rien de magique chez elle, mais ce n’était pas pour autan que ça lui garantissait une sécurité entière. Même avec ses amis, la jeune femme se méfiait. Non pas par manque de confiance, mais elle savait que parfois, même les plus proches pouvaient parler à tout va.

— Si nous voyageons ensemble, tu auras tout le temps de savoir ce qu’il te faut. Et puis je pourrais en profiter pour assurer mes ressources, les chaleurs actuelles ne sont pas vraiment ce qui convient le mieux ici.

Et c’était entre autres ce qui l’embêtait. Si certaines plantes savaient se montrer résistantes, d’autres étaient bien plus fragiles. L’herboriste avait de la chance jusqu’à présent, elle arrivait à jongler entre les catastrophes pour maîtriser ses possessions. Mais elle n’était pas dupe, si le temps continuait tant à faire des siennes, elle serait bien vite en mauvaise posture et se retrouverait face à un nouveau défi, aussi plaisant que déplaisant.

Mais pour l’heure, la jeune femme se préoccupait tout autant de ses plantes que de ce voyage qu'elle avait engagé. En l'exposant à Corin, elle avait gagné un compagnon de voyage, bien que son enthousiasme fût nettement moins transcendant que celui du guérisseur, ce qui n'était guère surprenant pour ceux-là connaissant. Sans se vanter d’être aussi déchiffrable qu'un livre, Eretria savait garder un certain contrôle de ses émotions, bien qu'une lueur de malice pointait dans son regard, signe de sa réelle pensée. Partir à l’aventure ne l’avait jamais réellement effrayé ainsi, cette idée d'aller à Erith, pour percer le mystère de ce phénomène qui les entourait, s'avérait assez enivrante et même s’ils ne trouvaient rien – ce qui pouvait être une forte probabilité – elle savait qu'elle en tirerait beaucoup de ce voyage.

Face au raisonnement de Corin, la brune ne put tout de même s'empêcher de retenir une certaine surprise. Non pas qu'elle le considérait incapable d'une telle déduction, mais elle s'attendait tellement à tout avec lui, que ça lui semblait presque crédible.

— Sérieusement, tu devrais te lancer dans le commerce. Je suis certaine que tu serais capable de vendre un tapis en peau de putois bien puant au roi en lui faisant croire à autre chose et que l’odeur est la meilleure qui soit.

Une nouvelle idée, assez plaisante à voir être mise en œuvre, mais à laquelle, jamais la jeune femme ne s’essayerait. Elle n’était pas folle – juste le minimum requis afin d’être celle qu’elle était – sans compter que la tapisserait n’était guère son domaine d’expertise. Bien heureusement, lorsque l’on connaissait le poids de ces œuvres tissés, qui ornaient le sol de nombreux palais.

— Alors nous sommes deux à nous en rire. Mais au moins, j’aurais fait ma part en te prévenant.

Voyager à plusieurs n’était plus vraiment dans les habitudes de l’herboriste, qui avait quitté la vie en communauté pour gouter à l’indépendance de la solitude. Certes, cela pouvait s’avérer dangereux, qu’elle soit seule, alors qu’elle était une femme, mais les quelques personnes l’ayant pensé et étant persuadée d’avoir l’avantage, avait toujours fini par le regretter. Mais renouer avec cette possibilité de ne plus être seule, même pour quelques jours, ça ne la dérangeait pas vraiment. Elle retrouvait seulement de vieux réflexes et des mises en garde qu’on avait jadis pu lui servir et qui lui avaient par ailleurs permis de s’en sortir. Eretria n’était pas vraiment à se vanter, mais elle se basait avant tout sur l’expérience que le désert de Orkney lui avait offerte. Entre la nature et les pillards, elle en avait tâté du danger.

— Très bien, nous pourrons partir assez rapidement dans ce cas, même si je pense qu’il sera plus sage d’attendre la prochaine nuit. Autant s’offrir les meilleures conditions pour voyager et nous trouver un endroit frais pour passer le jour. J’ai bien peu que les chaleurs ne se calment pas en montant vers le nord.

Et c’était bien ce qui l’inquiétait. Si les chaleurs étaient déjà insupportables en journée, qu’en serait-il plus au nord ? Habituellement, Eretria se serait attendu à un rafraichissement, mais plus maintenant. Les connaissances n’étaient plus d’actualité et elle espérait que les nuits resteraient plus ou moins fraiches, ou au moins supportables. Et surtout, qu’ils ne se retrouvent pas cloués par celle-ci, à ne plus pouvoir passer certaines étapes, ce qui pourrait rendre Erith inaccessible.

Le temps était une denrée rare pour beaucoup de monde, mais pas pour Eretria. L’avantage d’agir pour son propre compte et sans avoir à rendre de comptes à personne. C’était ce qui plaisait dans la position de marchand ambulant aux yeux de la jeune femme, et c’était ce qui lui permettait de pouvoir décider de s’organiser un voyage tel que celui qui se présentait. Un voyage essentiel pour elle, car non seulement il assouvirait sa curiosité en lui permettant de peut-être enfin découvrir ce lieu qui attirait tant l’attention, mais il lui permettrait aussi de sauver son fond de commerce. Comme elle l’avait évoqué à Corin, il lui fallait trouver un coin moins soumis aux perturbations climatiques et elle ne pouvait que lui donner raison.

— Je n’ai pas trop d’espoir de pouvoir trouver quoi que ce soit de normal, mais bon, peut-être que tout rentrera dans l’ordre aussi subitement que c’est apparu.

Et ça, elle avait du mal à y croire pour le moment, et cela pouvait se sentir dans sa voix, par cette pointe de sarcasme. Eretria avait beau accepter la magie comme un élément devenu naturel dans ce monde, elle avait tout de même du mal à accepter de pouvoir en être un dommage collatéral, tant bien même si la magie était réellement la cause de ce joyeux bazar. Dans un sens, l’herboriste préférait presque trouver la raison de tout ceci en un responsable bien vivant, en chair et en os, à qui elle pourrait expliquer clairement sa façon de penser. Peut-être aurait-elle été redoutable si ses pas l’avaient mené dans l’armée, mais ce n’était pas rien, si, même en voyageant seul, la jeune femme arrivait souvent à destination. Elle savait tout aussi bien s’exprimer verbalement que physiquement et sa petite taille n’était en rien un argument pour la raisonner. Mais là n’était pas la question alors qu’elle ne savait rien sur cette origine étrange, si ce n’est que ce n’était en rien normal. Depuis quand les fraîches montagnes de Ravenbarrow se devaient de diffuser une chaleur étouffante ?

D’ailleurs, même s’il y avait de qui entacher son humeur dans cette histoire, Eretria ne se laissait pas assombrir par de sombres pensées plus qu’agaçantes. Au contraire, elle gardait son entrain naturel, ayant décidé que, de toute façon, ruminer ne servirait à rien, excepté entrer dans un cercle infernal. Son voyage ne faisait que commencer, alors elle aurait tout le temps de trouver des réponses et préférait plaisanter en imaginant Corin autrement qu’en soigneur. Une idée qui ne sembla pas pourtant faire mouche aux dires du principal concerné.

— Ce n’est pas faux. Garde ton honnêteté pour tes patients, c’est ce qu’ils doivent apprécier chez toi. Et si jamais on doit négocier dans notre voyage, je me chargerais de la malhonnêteté.

Là-dessus, Eretria avait tiré assez d’expérience de ses voyages pour savoir quand on essayait de la prendre pour un lapin de trois semaines. Elle s’était fait avoir à ses débuts, comme tout le monde, mais désormais, elle était plutôt celle qui trouvait comment retourner la situation en sa faveur. Elle était devenue difficile en affaire et c’était ce qui lui permettait de continuer de vendre ses herbes sur les différentes terres. En ne s’étant pas laissé manger par plus gros qu’elle, la jeune femme de Orkney s’était faite sa place.

À vrai dire, si l’herboriste pouvait se montrer sûre de pas mal de choses, elle ne savait pas à quand remontait son dernier repas, ni même le temps qui s’était écoulé depuis qu’elle avait croisé Corin. Alors quand il évoqua sa faim se faisant sentir, elle opta pour cette idée. Ils seraient plus à même de planifier leur départ avec un bon repas et dans un endroit plus posé que cette simple rue où ils se trouvaient.

— Je n’ai pas encore eu l’occasion de me poser dans une auberge. Si tu en as une, je te suis, sinon j’ai de bonnes adresses. Avec ton idée de dresser un inventaire, nous pourrons peut-être nous permettre des acquisitions pour nous assurer de ne manquer de rien.

De son côté, elle avait quelques stocks à refaire. Entre autres les éléments de base pour voyager, mais aussi de quoi entretenir sa propre marchandise. Pour Corin, elle ne savait pas ce qui pourrait lui manquer, mais voyager avec un guérisseur avait ce côté rassurant. Au moins, ils pourront s’entre aider à tout moment, ne sachant pas encore ce qu’ils pourront affronter.

— Tu as raison, rien ne nous garantit que ça ne recommence pas, mais rien ne nous dit qu’une solution sera possible, du moins pour nous.

Ce n’était pas pour autant qu’Eretria baissait les bras, loin de là, mais parfois elle jalousait la nature l’ayant rendu aussi ordinaire que les humains alors qu’elle en dotait d’autres de cette science mystique qu’était la magie.

— La solution, ce sont les mages et les sorciers qui l’auront. Mais quand on voit la façon dont nous les traitons, je serais surprise qu’ils nous la livrent sur un plateau d’argent.

Eretria n’avait jamais été d’accord avec cette vision envers la magie. Peut-être était-ce par l’éducation qu’elle avait reçu d’un sorcier, qu’elle n’en voyait pas le mal absolu, mais elle trouvait les humains stupides de les rejeter, de les exiler, ou pire encore. Jeter tous les maux à leur encontre n’était en rien valables alors que, comme pour tout peuple, toute espèce et même toutes plantes, il y avait du bon comme du mauvais. Il fallait chasser les mauvais et garder les bons. Mais là encore, tout restait relatif à la vision de « bon » et de « mauvais », dont chacun avait une définition différente.

Il était pourtant vrai qu’avoir une solution serait le mieux. La situation évoluait, mais Eretria n’avait pas vraiment l’impression que qui que ce soit cherchait à résoudre le problème. Sans avoir eu l’occasion de découvrir comment les autres royaumes géraient le dérèglement, elle avait tout de même été emprisonnée dans cette boucle temporelle à Roselake, avant de connaître l’averse sans fin et, enfin, la chaleur sans précédent de Ravenbarrow.

Ce problème fut cependant relégué au second plan face à d’autres faits évoqués, plus amusant. Eretria ne craignait pas de prendre le rôle de celle qui serait malhonnête en passant par le mensonge et ça ne la dérangeait pas non plus que Corin soit trop honnête. Du moins, tant que cette honnêteté n’arrivait pas au mauvais moment. Mais au moins, sa remarque eut le don de faire rire le guérisseur avant de le lancer dans une pensée qui pouvait s’avérer des plus philosophiques. Une pensée qui laissa à réfléchir l’herboriste, bien qu’elle voyait déjà comment y répondre, même si, à ses yeux, il n’y avait aucune réponse exacte. Tout dépendait de chacun.

— À toi de voir. La vérité et le mensonge sont les alliés et les ennemis de la confiance. Il est parfois dur d’entendre la vérité, mais elle est souvent bien plus dure quand elle s’impose après un mensonge. À l’inverse, le mensonge peut créer un sentiment de trahison, là où il devait simplement alléger un mal. Il n’y a que toi pour décider comment agir face à tes patients, mais si tu veux une réponse sincère, je préférerais toujours que l’on me dise la vérité sur ces points plutôt que d’essayer de me berner pour ne pas me blesser.

Dans un sens, Eretria avait la chance de ne jamais avoir été réellement dans ce genre de situation. Elle était franche et directe alors les rares fois où elle s’était retrouvée dans cette posture, de devoir ou non mentir face à une vérité pourtant évidente, elle avait toujours choisi la franchise. Est-ce que ses décoctions allaient se montrer magiques ? Non, elles agissaient selon des règles établies par la nature. Est-ce que les gens appréciaient ? Elle s’en moquait. N’ayant jamais apprécié d’être vue sous l’angle de la compassion, la jeune femme en faisait de même avec les autres.

— Tu sais, quand j’étais enfant, je me suis retrouvée séparée de ma famille par des brigands. Je ne les ai jamais retrouvés et c’est un inconnu qui m’a élevé. Il ne m’a jamais sorti ces fameuses phrases censées apaiser « mais tu sais, on va les retrouver, ne t’en fais pas », car il n’avait pas la réponse exacte. Je ne sais toujours pas s’ils ont survécu où s’ils sont morts ce jour-là et personne ne le saura à part eux. Se bercer d’illusion avec des « et si », c’est pire que de s’empoisonner avec de l’aconit tue-loup. L’espoir fait vivre, mais il peut aussi offrir la plus douloureuse des chutes.

Eretria avait donné son exemple avec un détachement qui témoignait de sa position. Certes, quand elle était plus petite, elle aurait certainement aimé qu’on lui fasse croire que tout irait pour le mieux. Mais depuis, elle avait mûri et elle avait compris que cet enseignement avait été la meilleure de ses leçons. Alors aujourd’hui, lorsqu’elle se servait de mensonge, c’était avant tout pour tromper l’autre ou pour se jouer d’un inconnu.

Un sourire vint chasser la neutralité de son expression lorsqu’elle entendit l’estomac de Corin se manifester. Nul besoin qu’il en dise plus, leur prochaine halte serait pour un bon repas. D’autant plus que le guérisseur annonçait sa monnaie, ce qui la fit sourire à nouveau. Souvent, Eretria savait se montrer proche de son argent, mais avec les amis, c’était différent. Pourtant, elle ne chercha pas à contredire l’homme qui allait l’accompagner dans son voyage.

— Alors allons profiter d’un bon repas, car ces prochains jours, nous devrons probablement nous contenter de cueillette et de chasse. Allez, suis-moi.

Emportée par l’humeur joviale de son ami, Eretria le guida vers l’une de ses fameuses adresses. À force de voyager, elle commençait à connaître les enseignes de qualités et celles à éviter, et celle vers laquelle elle se dirigeait, restait réputée pour sa bonne ambiance et les plats appréciables qu'elle servait.

Elle était d’accord avec lui. Trouver toutes les solutions possibles était certainement ce qu’il y avait e mieux à faire, mais comment réussir à y arriver, lorsqu’aucune ne semblait réalisable ?  L'explication à tout ceci échappait réellement à la jeune femme qui n'avait pourtant pas l'habitude de s’évertuer sur des problèmes qui n’étaient pas les siens. Elle se contentait de se trouver au bon endroit lorsque cela était intéressant. Ce qui était le cas pour l'heure, alors qu'elle avait décidé d'essayer de remonter à ce qui pourrait être la source de tout ça. Une hypothèse qu’elle voyait être tirée par beaucoup de monde, mais qu’elle ne considérait pas comme la possibilité absolue. Juste une possibilité comme une autre qui avait le mérite d’être analysée.

— Je n’ai pas beaucoup d’espoir sur le fait que des gens comme nous se manifestent vraiment. À part à Erith peut-être, mais sincèrement, ce ne sont pas ceux qui font le plus parler d’eux.  

À son grand désarroi, Eretria avait rarement croisé quelqu’un qui avait un avis neutre ou positif sur la magie. Le plus souvent, cette idée était totalement rejetée et, comme pour s’y opposer, la jeune femme n’avait jamais osé clamer son avis aux oreilles de tous. Et si cela déplaisait, tant pis pour eux. Elle n’était pas du genre à taire ses idées et encore moins à les cacher. Il lui était arrivé de s’attirer des ennuis pour ça, mais jusqu’à présent, elle avait su s’en tirer. De toute façon, en étant herboriste, elle s’était attendue à ne pas forcément être vue d’un bon œil, alors que certains associaient cette pratique à la sorcellerie.

— La paix dans le monde, c’est une notion effraie bien trop pour espérer la voir apparaître. Quoi qu’il arrive, il y aura toujours des conflits tout simplement parce que la paix fait peur. Il y aura toujours quelque chose de plus puissant que nous et c’est contre cette puissance que les royaumes cherchent à se battre. Aujourd’hui c’est la magie, mais qui sait ce que ça sera demain.

En disant cela, la jeune femme ne cherchait pas à être défaitiste, mais à être réaliste. Elle pouvait se permettre cette vision du monde grâce à ses nombreux voyages. Et puis il suffisait de voir les tensions qui pouvaient exister entre les royaumes pour comprendre que la paix n’était pas près d’arriver.

Elle eut un sourire de compassion en entendant la suite des explications de Corin. Elle pouvait comprendre qu’il puisse devenir difficile de dissimuler le mensonge après des années de pratique. Elle ne pouvait pas se mettre à sa place, car même si elle pratiquait le mensonge avec une facilité déconcertante, elle ne connaissait pas cette difficulté. C’était sa barricade à elle et dont elle ne cherchait pas à se débarrasser.

— Alors soit toi-même. Ce monde comporte assez de faux-semblants pour que tu n’aies pas à en faire de même. Le monde a besoin de personnes honnêtes comme toi, crois-moi.

Quant à la suite, concernant l’idée d’espoir, la jeune femme fut un peu plus mitigée. Cependant, elle comprenait la bonne intention, même si elle n’avait pas cette pensée similaire.

— Et ne sois pas désolé pour ma famille. Ce sont des choses qui arrivent bien plus souvent qu’on ne le pense. Le désert fait oublier ses dangers et depuis j’ai accepté cette idée. Et puis j’ai eu la chance de tomber sur la bonne personne qui m’a tout appris.

Cet optimisme, c’était bien une chose appréciable chez Corin et même si Eretria n’aimait pas les personnes trop d’optimisme, cela ne la dérangeait pas avec lui. Au contraire même, c’était une part de sa personne et c’est ce qui faisait non seulement son charme, mais aussi de lui un bon médecin. La jeune femme savait qu’elle ne pouvait pas s’ennuyer avec lui et l’idée de faire ainsi ce voyage en sa compagnie s’avérait une bien meilleure idée que de le faire seule.

Mais le départ n’aurait pas lieu immédiatement. Ayant prévu d’attendre le lendemain, Eretria ne put s’empêcher de rire un peu quand Corin annonça qu’il ne lui coûterait pas trop en chasse. Ce n’était pas ça qui l’inquiétait le plus dans le voyage, mais ça restait bon à savoir. D’autant plus qu’avec les perturbations que connaissait le royaume, Eretria devait d’adapter au rythme du gibier. Et dans ce cas, elle était bien contente de pouvoir se rapatrier sur les plantes lorsqu’elle ne trouvait rien. Une connaissance bien pratique.

***

Eretria se leva tôt le lendemain. Tôt ou plutôt tard, alors que tout se rythmait actuellement par cette météo de malheur qui les forçait à suivre le cours de la lune et non celui du soleil. Avec Corin, ils allaient pouvoir prendre la route et la jeune femme fut prête en un rien de temps. Habituée à ne pas rester très longtemps au même endroit, c’était devenu une routine pour elle, d’autant plus que cela allait de pair avec son sang d’Orkney. En tant que fille du désert, l’herboriste avait appris à être prête avant que les chaleurs écrasantes de cette contrée se fassent trop présentes. Elle retrouva alors Corin, son sac contenant ses précieuses herbes posées en travers de son dos.

— Prêt à goûter à l’aventure ? Car je te l’annonce tout de suite, je ne suis encore jamais allée à Eirth, alors je ne sais pas ce qui nous attend sur la route. Nous allons peut-être devoir sortir des sentiers battus.

Eretria n’avait pas eu à attendre bien longtemps avant d’être rejointe par Corin. Un point positif pour celle qui n’aimait pas toujours attendre, mais qui n’était pas non plus pressante. Elle savait qu’en ne voyageant pas seule, il devenait coutume de s’adapter à tout le monde et elle était prête à le faire, mais il est vrai que de voir quelqu’un d’efficace, c’était toujours un plaisir pour celle qui avait fait du voyage son quotidien. Et son comparse semblait en forme qui plus est, tandis qu’elle avait partagé son avis quant à la suite. En fait, elle était même certaine qu’il leur faudrait trouver des alternatives à certains chemins pour rejoindre le Nord et Erith pour éviter toutes sortes d’ennuis. Même sans connaître les lieux, l’herboriste pouvait se servir de son expérience pour imaginer une liste des multiples dangers : prédateurs nocturnes, brigands espérant faire fortune, assassins et meurtriers dont le but n’était connu que d’eux seuls, et bien d’autres. Et si ces idées pouvaient paraître effrayantes, elles ne l’étaient pas pour ce bout de femme qui pouvait parfois se mettre dans le lot. Certes, elle semblait honnête pour quiconque commerçait avec elle, mais Eretria avait sa propre part d’ombre et, quand les temps étaient durs, elle était loin d’être assimilable à un ange.

— Ne t’en fais pas, se perdre n’est pas une option. En plus la nuit nous offre un avantage. Tant qu’elle reste claire, les étoiles seront nos meilleures guides. Et si le temps se gâte, je connais quelques astuces pour s’y retrouver.

Suivre un cours d’eau ou fabriquer des outils en se servant de ce qu’elle avait sous la main. Tout ça, Eretria avait pu l’apprendre auprès de son ancien mentor qui avait refusé qu’elle garde en tête que la magie avantageait quiconque la possédait. Une idée qui avait été difficile à éliminer, mais l’enfant qu’elle avait été avait dû le reconnaître : il avait raison. Ce n’était pas de quelconques capacités spéciales qui comptaient pour offrir un avantage, mais l’ingéniosité dont il fallait parfois faire preuve.

Elle avait cependant tiqué à la remarque de Corin tout en se mettant en marche. Elle ne le connaissait pas assez bien pour saisir l’entièreté de ce qu’il voulait dire, mais il ne lui semblait pas anodin de préciser qu’il voulait éviter certaines régions. Et ça, c’était un détail important pour la brune qui devait composer avec ce léger détail.

— Ce sont lesquels régions que tu veux éviter ? Normalement on ne devrait pas dévier de Ravenbarrow, mais si je me trompe et qu’on monte trop au nord, je ne te garantis pas que l’on fricote avec quelques coins d’Everwinter.

Eretria savait s’orienter, mais elle ne poussait pas l’audace à dire qu’elle avait la science infuse quant à la géographie des terres qu’elle foulait. Elle en connaissait pas mal de chose, mais il lui arrivait de finir plus loin qu’une destination voulue pour avoir un peu trop poussé dans une direction. Or, elle n’était jamais allée à Erith et pouvait, en l’occurrence, prendre le risque d’aller bien trop au nord. Pour avoir un peu prospecté quelques jours plus tôt, la jeune femme savait que longer la côte Est serait une valeur sûre, mais encore fallait-il rejoindre cette côte. Et pour ne pas perdre trop de temps, elle préférait envisager d’avancer en ligne droite plutôt que d’abord chercher la mer avant de trouver ce coin si mystérieux que tant de personnes semblaient craindre.

Écoutant la suite des préventions de son comparse, Eretria avait d’abord acquiescé. En soi, elle ne trouvait pas ça étrange de ne pas avoir que des « amis » sur la route. Elle-même devait avoir son petit lot de problèmes qui pouvait l’attendre quelque part et elle appréciait que Corin puisse le lui préciser. Avec ça, elle serait doublement vigilante.

— Pas de problème. Mais quel genre « d’amis » ? Que je sache à quoi m’attendre si je découvre qu’on est suivi ou qu’on s’apprête à tomber dans un guet-apens.

Car même si elle pouvait comprendre, elle avait du mal à voir qui Corin aurait pu se mettre à dos. Après tout, les guérisseurs étaient là pour faire le bien et à moins qu’il ait rendu quelqu’un volontairement malade, elle avait du mal à imaginer. Mais peut-être que le jeune homme saurait l’éclaircir un peu, tandis qu’elle-même réfléchissait à ce qui pouvait être possible.

— Après ne t’en fais pas pour ma sécurité. J’ai connu les brigands du désert alors ce ne sont pas ces montagnes qui me font peur.  

Ce ne serait ni la première, ni la denrière fois que la jeune femme risquerait de cotoyer le danger de très près.