Découvrir Roselake sous une pluie diluvienne n’offrait pas forcément une image sublime de ce royaume. Pourtant, la conteuse bravant cette météo appréciait ce qu’elle découvrait, alors qu’elle n’avait encore jamais franchi les frontières de ces terres. Roselake faisait partie de ces terres qu’elle n’avait encore jamais traversé, alors que ses pas l’avaient mené au plus profond de Ravenbarrow, jusqu’à la frontière d’Everwinter pour finalement la mener à Erith. Un chemin qui l’avait fait découvrir cet endroit où elle ne serait pas forcément chassée pour sa nature, mais qu’elle avait temporairement quitté après avoir subi des nuits entières de cauchemars. Des cauchemars qui n’étaient pourtant pas à l’origine de sa décision, tandis que la sorcière était motivée par l’inconnu. Ces rêves de monstres et de démons n’étaient plus, mais le monde n’avait guère retrouvé son équilibre naturel. Un manquement qui surprenait Wanda qui s’était alors demandé ce qu’il en était ailleurs. À Erith, elle n’était plus surprise de rien, alors que ce camp était encore récent. Mais plus loin dans les terres, la question était tout autre et ainsi, la jeune femme avait, après plusieurs jours de voyages, franchi les frontières de Roselake.

La pluie venait frapper avec fracas les parementures des maisons du village où la conteuse s’était rendue. Voilà quelques jours qu’elle observait cette averse sans fin, qui était venue remplacer les fortes chaleurs journalières de Ravenbarrow. Wanda en avait été surprise, et elle devait avouer que ce changement radical était des plus surprenants. Sans compter que, même si c’était la première fois qu’elle traversait ces terres, la jeune femme avait pu en apprendre un peu lors de son apprentissage, et notamment sur les différentes saisons de chaque royaume. Des connaissances qui ne semblaient plus appropriées à ce qu’elle découvrait, et qui en forcerait plus d’un à se mettre à l’abri, dont celle qui avait trouvé refuge dans une auberge.

La douce chaleur des lieux était des plus réconfortantes et Wanda se sentait bien chanceuse d’avoir quelques pièces lui offrant la nuitée dans l’une de ces chambres. Une ultime poignée qui lui offrait le gîte et le couvert, mais qui la mettait aussi dans une situation quelque peu complexe pour la suite. Si à Ravenbarrow elle avait eu l’occasion de pouvoir offrir ses contes en spectacles, profitant même de l’obscurité de la nuit pour donner un côté plus mystique à ses personnages, ici il en serait tout autre. Il serait difficile de réunir du monde à l’extérieur afin de laisser ses marionnettes s’exprimer, alors que la pluie rendait nul tout artifice. Quant à proposer à des lieux tels que celui-ci de la laisser dévoiler son art, la conteuse n’en avait jamais été très volontaire. Elle savait que l’argent rendait les un et les autres avides et que sa part en diminuerait fortement. Ce dont elle se moquait en soi, mais la jeune femme avait horreur de l’injustice que pouvait créer ceux rêvant de gloires et de richesses.

Ayant laissé ses affaires dans la chambre qui serait sienne jusqu’au lendemain, Wanda profitait d’une place non loin d’un feu crépitant dans son âtre. Une place qui la laissait un peu à l’écart, mais qui lui offrait la possibilité d’observer et d’apprendre de ces gens. Certains, comme elle, n’étaient que de passage, voyageurs bravant les éléments, tandis que d’autres étaient certainement des habitués. Il était parfois facile de les distinguer, que ce soit selon l’aise prise ou les tenues. Elle-même était facilement remarquable comme étrangère, que ce soit par cette étole rougeoyante qui lui couvrait les épaules ou ses jupons marqués par le voyage. Et si son observation semblait anodine, elle était d’une importance capitale pour Wanda. Elle savait que son secret ne devait en aucun cas être démasqué, et elle restait à l’affut de quiconque aurait cette capacité. Lorsqu’elle se trouvait à Erith, la conteuse s’était sue en sécurité. Mais désormais, d’autres lois s’appliquaient en ces lieux et rien ne lui garantissait que celles-ci étaient plus souples que celles de Ravenbarrow.

La solitude n’était guère quelque chose de dérangeant pour la conteuse qui avait appris, sans réellement le vouloir, à ne plus être constamment accompagnée. Si auparavant elle n’allait nulle part sans son jumeau, leurs pensées dissidentes l’avaient forcée à cheminer seule désormais. Un sort que la jeune femme avait dû l’accepter avant de le transformer en choix personnel. Rien ne l’empêchait de rejoindre un groupe de voyageurs pour ne plus gouter à cette solitude, mais la liberté que celle-ci lui offrait était finalement ce qu’elle appréciait. Elle n’avait de comptes à rendre à personnes dans ses choix et pouvait ainsi se rendre là où son esprit le désirait. Tout comme dans cette auberge, la protégeant des pluies diluviennes de Roselake, où Wanda avait ainsi une vue intéressante sur cette soirée anodine.

Une soirée qui aurait pu la laisser sans souvenirs, tant le calme primait sur des évènements indésirables, mais le regard vert de la sorcière croisa celui d’une jeune femme dont l’identité lui était des plus inconnues. Ce qui n’était guère surprenant, alors que Wanda ne s’était encore jamais rendue dans ce royaume. Mais ce bref instant, qui aurait pu rester inaperçu, sembla suffire pour que la voyageuse ne profite plus de sa solitude, se voyant rejointe par l’inconnue. Sans manifester le moindre désaccord, elle la laissa prendre place à non loin d’elle, et celle-ci lançant la conversation, la jeune femme put se permettre d’observer l’arrivante. Une observation en rien insistante, mais qui lui permettrait de savoir si elle devait se sentir en danger ou non, face à des questions qui visaient assez bien sa situation.

— Vous avez raison, je suis nouvelle en ville.

Même si elle restait méfiante, Wanda avait préféré répondre avec chaleur, comme si ce genre de question était des plus normales. Ce qui l’était en soi, alors qu’elle n’avait en aucun cas besoin de cacher son arrivée dans ce royaume. La conteuse n’avait d’ailleurs que peu de choses à cacher et pour chacune d’entre elles, elle s’était depuis bien longtemps entrainée à les garder masqués. Mieux valait éviter de faire courir certains bruits ou d’évoquer certains noms. C’était comme son refus actuel d’explorer le nord de ce monde, et de se risquer à Everwinter. Sans nouvelles de son jumeau, lui qui avait renié sa propre nature, Wanda ne pouvait guère prendre un quelconque risque là-dessus.

— À vrai dire, je ne saurais guère vous donner la durée de mon voyage. Je viens du royaume de Ravenbarrow, et en temps normal, j’aurais pu vous renseigner à ce sujet, mais avec ces phénomènes météorologiques, nous pourrions presque en perdre le nord.

Semi-mensonge qu’elle évoquait, alors que Wanda faisait toujours attention à certains détails. Elle savait depuis quand elle était sur les routes, mais elle refusait que l’on puisse deviner que son départ venait d’Erith. Ravenbarrow est un grand royaume, lui aussi subissant l’un de ces étranges phénomènes, et pas des moindres. Il lui devenait ainsi facile de jouer la confusion sur certains savoirs, pouvant non seulement s’appuyer sur la nécessité de vivre la nuit de l’autre côté des frontières afin de ne pas subir d’horrible chaleur, mais aussi par ces précédentes semaines, où les cauchemars rythmaient la vie de tous.

— J’espérais découvrir que certains royaumes semblaient épargnés, mais je ne pense pas me tromper en m’aventurant à dire que ces pluies ne sont pas normales, n’est-ce pas ? J’ai entendu des personnes s’en plaindre lors de haltes.

C’était à croire que ce phénomène n’épargnait personne. Wanda ne pouvait prétendre savoir ce qu’il en était plus au nord et plus au sud, mais si Roselake le subissait aussi, elle n’imaginait guère voir les autres royaumes y échapper. Cependant, cette découverte la rassurait sur les rumeurs accusant Erith d’en être l’origine. Si ce petit coin reculé était vraiment responsable, l’intelligence des mages et sorciers aurait certainement épargné leur lieu d’habitat. Pourtant, Wanda avait pu subir, elle aussi, ces phénomènes, sans pouvoir s’en protéger par sa propre magie.

Si Wanda avait appris à aimer la solitude pour la discrétion qu’elle lui procurait et son absence de curiosité, elle appréciait tout autant la présence des autres, malgré les déboires que cela pouvait apporter. C’est pour cela qu’elle ne s’offusquait pas de l’approche de cette femme auprès d’elle, ni même de ses interrogations. Cela pouvait même s’avérer normal, alors que la bohème n’était qu’une inconnue dans cette auberge, contrairement à celle qui l’avait questionné. Wanda ne pouvait assurer avec précision à qui elle avait affaire, mais l’attitude de cette dernière en disait déjà long. Elle semblait être sur un terrain qu’elle maîtrisait, ce qui justifiait la pertinence de son approche. Une approche qui n’avait cependant pas inquiété la conteuse qui n’en était pas à son premier voyage. Elle savait que les voyageurs étaient ceux qui pouvaient attirer le plus l’attention, et autant dire qu’elle-même ne passait pas inaperçue.

Ainsi, elle s’était montrée cordiale avec la jeune femme, bien qu’elle ne pouvait réellement répondre à toutes les interrogations. Wanda avait été surprise par les pluies diluviennes de ce royaume, mais aussi par le changement de température et il lui avait fallu en adapter son voyage. Et à vrai dire, elle ne pouvait dire ce qui était le mieux. Certes, la chaleur de Ravenbarrow en était insupportable, mais si désormais il faisait bon de vivre le jour, la pluie n’était pas des plus envieuses.

— J’espère que vos terres s’en relèveront. C’est une bonne chose que l’armée ne soit pas dépassée.

La nature avait besoin d’un certain équilibre avec lequel il fallait apprendre à vivre. Mais là, l’équilibre avait été bouleversé et ce moindre bouleversement pouvait engendrer des conséquences bien plus désastreuses. Parfois, Wanda regrettait que la magie ne puisse pas aider à ainsi rétablir l’équilibre. À une telle échelle, il faudrait une association de sorciers, seulement jamais il ne serait possible de le faire avec les restrictions que ces personnes connaissaient. Elle-même était obligée de camoufler sa nature, n’usant de ses pouvoirs qu’à des instants où elle se savait ni vue ni connue. Un véritable désarroi, cette intolérance, alors que les meilleures âmes pouvaient apporter leur aide à ceux dans le besoin. Alors certes, comme pour tout, certains n’avaient aucun scrupule à user de leur pouvoir à de mauvaises fins. Et comme pour tout, ils étaient ainsi tous jugés pour les actes néfastes d’une poignée.

Et cette information sur l’armée était bien tombée. De savoir que ces hommes et femmes dédiés à la protection de leur royaume tenaient bon était d’un avantage pour celle qui ne devait en aucun cas faire de remous devant eux. Elle ne connaissait de Roselake que ce que les marchands pouvaient dire et l’histoire que sa mentor lui avait enseignée, mais n’y ayant jamais mis les pieds auparavant, Wanda n’était désormais livrée qu’à elle-même en ces terres.

— Je suis conteuse itinérante. Et après avoir dû faire face aux nuits cauchemardesques de Ravenbarrow, j’ai souhaité ouvrir mes histoires aux autres royaumes, tout en ayant l’espoir d’y trouver autre chose que les nouvelles chaleurs qui font suer les montagnes.

Wanda n’avait pas de réelles raisons de mentir sur sa présence et elle s’ouvrait volontiers à la réponse. Après tout, elle n’était officiellement rien d’autre que ce qu’elle annonçait et il n’y avait rien d’étrange dans les motivations de son voyage. Pourtant, il est vrai que ce temps qu’offrait Roselake n’était guère sujet à motivation pour découvrir ces terres, mais encore fallait-il le savoir avant de franchir les frontières.

— Vous avez cependant raison, si j’avais su pour ce déluge, peut-être aurais-je repousser mon voyage ou chercher une autre destination. Mais je crois, qu’importe où l’on aille, tous les royaumes semblent connaître un destin des plus étranges.

Même si la conteuse ne pouvait prétendre savoir ce qu’il se passait là où elle ne s’était pas rendue, cette suspicion faisait sens à ce qu’elle avait vu jusqu’à présent. Ou alors, il serait bien étrange que seuls les deux royaumes que ses pieds avaient foulés puissent vivre d’étrange phénomène, et que les autres n’aient rien. Dans un sens, cette idée pouvait se montrer rassurante, alors que Wanda savait que son jumeau se trouvait quelque part, bien plus au nord, dans les frontières d’Everwinter. Mais elle n’avait pas la naïveté de croire que même tout au nord, il ne se passait rien d’étrange.

Wanda n’avait pas besoin d’être originaire d’un royaume pour compatir pour lui. Elle avait développé une certaine empathie à force de voyager à travers les frontières, décidant de ne pas juger les peuples pour les actions de certains. Elle avait ses rancunes, comme tout le monde pouvait en avoir, mais ce n’était pas pour autant que tous portaient cette responsabilité. Un apprentissage qui lui avait été difficile à apprendre, mais qui lui permettait désormais d’avoir cette tranquillité d’esprit qui l’accompagnait. Alors elle ne pouvait s’empêcher d’avoir cette pensée pour les habitants de ce royaume qui ne pouvaient que subir ces pluies qui semblaient sans fin. Un désastre qui ne pouvait qu’engendrer des catastrophes et, même si elle savait que la magie n’était guère quelque d’apprécier, et qui était même interdite, la jeune femme aurait aimé pouvoir faire quoi que ce soit pour les aider.

Cependant, la conteuse estimait que mieux valait ne pas évoquer cette pensée, à l’entente des propos de son interlocutrice. Elle ne fut pas réellement surprise de voir qu’Erith allait porter le blâme, mais elle en fut légèrement attristée. Tout comme les mages et sorciers pouvaient être traqués pour leur différence, ce lieu l’était aussi, d’une autre façon. Alors qu'eux aussi subissaient ces affres, ils se retrouvaient à porter cette responsabilité, sans qu’ils ne puissent avoir réellement le choix de se défendre. Pourtant, Wanda avait cet avis, qu’ils n’y étaient pour rien. Peut-être était-ce l’œuvre d’un puissant sorcier qui agissait pour son propre compte ou pour celui d’un sombre dessein, mais elle ne pouvait accepter l’idée que ceux qu’elle avait pu côtoyer là-bas soit tout responsable. Elle-même pouvait en être accusée, alors que Wanda s’était retrouvée parmi cette communauté aux premières lueurs de ces nuits où les cauchemars avaient envahi les songes.

— Je ne sais pas si ce portail pourrait être le seul fautif.

Il n’y avait pas d’amertume dans son temps. Wanda pouvait comprendre ce besoin de blâmer un phénomène ou un peuple, mais elle avait aussi, parfois, besoin de pousser un peu plus loin cette pensée.

— Certes, je ne me souviens pas qui nous ayons déjà vécu de tels évènements, même si de précédentes tempêtes se sont montrées dévastatrices avant que ce portail ne soit découvert, mais peut-être que tout cela cache quelque chose de plus profond, même si je ne saurais vous dire quoi.

La conteuse n’avait pas la prétention d’avoir la science infuse, autant concernant les phénomènes surnaturels, que les phénomènes naturels. Elle n’était qu’observatrice, considérant qu’il y avait toujours des leçons à apprendre de ce qu’ils subissaient ou vivaient au quotidien. Elle ne savait peut-être pas encore ce qu’elle pourrait tirer de celle-ci, mais Wanda était certaine qu’ils en sortiraient avec de nouvelles connaissances.

Quant à la suite, elle eut un léger sourire évoquant sa mélancolie. Si la jeune femme avait fait de se vie celle d’une conteuse, partageant moult histoires à qui souhaitait les entendre, elle restait tout de même assez sélective, préférant faire voyager et rêver, plutôt que de conter désastre et drame. Pourtant, l’Histoire était un tout et elle ne pouvait taire certains évènements.

— Je le ferais, mais je préférerais pouvoir conter la façon dont tout pourrait revenir à la normale. Je ne pense pas que nos différents royaumes aimeraient se rappeler de ces malheurs. Mais qui sait, peut-être pour des générations futures, lorsqu’il sera important de partager ces instants.

Bien qu’elle en doutait. Wanda craignait que l’histoire se propage en défaveur de ceux manipulant les mystères de la magie. Plus qu’une crainte, elle en avait même la certitude, alors qu’elle avait entendu l’avis de son interlocutrice concernant le portail de Roselake.

— Quant à une destination particulière, non je n’en ai pas réellement. À vrai dire, je m’interrogeais sur ce qu’il se passait au-delà des frontières et j’espérais voir que certains avaient été épargnés. Peut-être que si l’un des royaumes échappe à ces désastres, nous pourrions obtenir des réponses. Mais je crains que cela ne soit pas le cas.

Wanda n’avait pas l’âme d’une enquêtrice, considérant que c’était le rôle de d’autres de le faire. Cependant, elle n’aimait pas non plus rester dans l’inconnu ou l’incertitude. Reprendre la route lui avait alors paru l’option la plus probable parmi celles qui s’offraient à elle.

La conteuse savait qu’il pouvait être controversé de laisser entendre ses pensées sur le portail, notamment lorsque, comme elle, ces pensées n’attribuaient pas tous les maux à ce phénomène étonnant. Mais bien qu’elle le savait, elle le faisait, ayant l’habitude de toujours défendre son point de vue. Wanda entendait celui des autres, mais elle n’avait jamais pu s’autoriser à le suivre sans avoir de réelles preuves des faits avancés. Certes, elle concédait que ce portail pouvait apporter son lot d’ennui, mais était-il juste d’accuser ceux n’ayant jamais agi à l’encontre du continent d’en être tout autant responsables ? Pour elle, la réponse était assez simple, et elle pouvait entendre que c’était une acceptation difficile pour d’autres. C’était d’ailleurs pour ça que la magie devait à tout prix continuer de rester secrète, alors que les différentes civilisations montraient encore leur difficulté à l’accepter. Alors la jeune femme avait simplement évoqué son avis concernant le portail, sans chercher à aller plus loin. Elle ne voulait pas froisser son interlocutrice ni lancer un débat pouvant assez mal finir.

Heureusement, la discussion ne s’orienta pas vers ces questions houleuses. Wanda avait perçu que ses dernières paroles semblaient faire réagir, mais elle ne s’en offusqua pas. Chacun avait sa vision de leur voyage et aussi étonnant que cela pouvait paraître, elle avait, pour une fois, décidé de ne pas se donner de réel but. Enfin si, elle en avait, sans quoi la jeune femme serait certainement en train d'errer quelque part, mais ce but ne lui donnait aucune destination définitive, tout comme le faisait sa vie de conteuse.

— C’est ce que j’ai cru comprendre. C’est un véritable mystère qui s’abat sur nous.

Un mystère que la jeune femme ne voulait pas abattre sur le dos de ses semblables. Elle ne serait pas surprise que cela pouvait être l’œuvre d’un puissant individu ou d’un petit groupe, mais ce n’était pas pour autant qu’elle souhaitait voir l’entièreté des sorciers comme elle être blâmée pour ça. Il devait y avoir justice, et non de simples accusations partantes de superstitions. Seulement, elle le savait. C’était une utopie que de le penser et elle doutait de voir un jour cette vision prendre le pas sur les autres.

— Mais comme tout mystère, il finira par lever son voile et, comme vous le dites, nous resterons debout.

Avec des séquelles, très certainement, car la nature n’appréciait peu les changements qu’elle pouvait endurer. Mais c’était le mieux à vouloir pour l’heure, d’autant plus que ses pluies pouvaient s’annoncer dévastatrices. Dans un sens, la voyageuse était heureuse de ne pas avoir de terre à protéger ou à regretter face à ces intempéries. Mais elle savait aussi que cela pouvait rapidement la bloquer dans ses voyages.

Wanda aurait pu en terminer là, mais un mouvement sur le côté attira son attention. Celui d’un homme dans une démonstration gestuelle d’une discussion plus ou moins houleuse qu’il tenait avec un groupe. Un fait si anodin, que la jeune femme s’apprêtait à s’en serait détourné s’il n’y avait pas eu le bruit de cette chope brisée au sol. Manifestement, celui qui avait eu ce geste démontrait l’emprise de l’alcool sur sa conscience et cela lui tira un soupir de lassitude. La conteuse pouvait prétendre assister facilement à ce type de scène dès lors que les auberges devenaient ses lieux de vie et malgré cela, elle ne s’y habituait pas. De nature calme, elle n’aimait pas ce genre de démonstration qui ne menait jamais à rien de bon et pouvait facilement attirer les ennuis. Des ennuis que la jeune femme préférait éviter, mais là, cette situation attirait bien trop l’attention pour l’ignorer et faire comme si de rien n’était, d’autant plus par la proximité de sa position. Wanda craignait que l’homme finisse par ne plus avoir trop de limites et que ses excès débordent vers elle. Non pas qu’elle s’inquiétait que l’on puisse l’aborder, mais pour l’avoir déjà vécu, elle savait qu’il était presque impossible de raisonner ces esprits-là.

— Je suppose que ces perturbations qui sévissent n’aident pas à calmer les habitués des lieux.

C’était un constat qu’elle avait pu faire lors de sa traversée de Ravenbarrow. Avec le problème de ces cauchemars qui avaient pris d’assaut le sommeil, Wanda avait pu observer les conséquences de cette fatigue qui s’était abattue comme un fléau. Alors elle imaginait que la pluie qui ne cessait pouvait avoir le même effet, seulement, elle n’avait pas pris en compte que ses paroles seraient aussi entendues par l’homme éméché qui s’étaient tourné vers elle. Un « elle a un problème, la sorcière » fusa de sa part, faisant froncer les sourcils de la jeune femme. En soit elle imaginait bien que cela pouvait simplement être une façon de l’insulter, mais sans savoir, l’homme avait visé juste dans sa façon de la caractériser et, avant qu’elle ne puisse dire quoi que ce soit pour sa défense, il s’emmêla les pieds de lui-même pour se retrouver bêtement à taire, sans comprendre ce qui lui était arrivé. Une situation tout aussi anodine que de l’avoir vu se faire entendre juste avant, mais que Wanda n’appréciait pas vraiment. Elle se fichait que l’on puisse la remarquer, mais ce mot « sorcière », elle savait qu’il pouvait embrouiller bien des visions.

— En l’occurrence, je semble avoir moins de problèmes que vous.

Elle avait répondu avec calme, avant de se détourner de lui, cherchant à ne pas afficher cette crainte que cette association pouvait avoir. Après tout, personne ne pouvait savoir pour elle, alors que pas une fois elle n’avait fait usage de ses pouvoirs au sein de l’auberge. Pourtant, elle aurait pu avant que l’homme ne tombe, mais le hasard avait fait le travail de lui-même.

On ne pouvait pas dire que Wanda aimait quand l’agitation prenait le dessus. Et encore moins lorsqu’elle devenait la cible d’un homme dont l’haleine trahissait ses dernières consommations, dont il avait – sans conteste – usé à outrance. Certes, il n’avait certainement pas pensé les paroles la traitant de sorcière, mais avec la réputation que pouvaient avoir tout ceux qui côtoyaient ce monde, mieux valait éviter toute association. C’était comme cela que la conteuse survivait dans ces royaumes où elle pouvait se faire exécuter à tout moment le jour où son secret serait découvert. Une méthode qui faisait bien ses preuves, la jeune femme n’ayant jamais été importunée jusqu’à présent. Peut-être que certains pouvaient porter ses soupçons, ceux ayant eu un regard indiscret lorsqu’elle pensait se trouver dans l’ombre, mais jamais aucune menace n’avait plané jusqu’à présent, alors elle ne s’était pas plus offusquée que ça de la remarque de l’ivrogne. Certes, elle aurait préféré qu’il n’en soit rien, mais après tout, l’insulte de sorcière n’était-elle pas plus anodine que réelle ?

La situation fut alors prise en main par la personne avec qui Wanda échangeait jusqu’à présent. S’effaçant pour la laisser faire, elle ne se préoccupait déjà plus de cette situation. Cela devenait désormais le problème des camarades de celui ayant abusé de l’alcool et la façon dont les choses étaient prises en main ne l’inquiétait plus. L’autorité dégagée semblait suffire à elle-même et cela rassurait celle qui voyageait à travers les routes. Elle ne voulait pas avoir à se frotter à ce type d’individus et encore moins chercher à les persuader. Leurs esprits étaient embrumés et loin de pouvoir être raisonné. Or, il y avait bien trop de monde présent pour qu’elle le fasse par un autre moyen détourné.

— L’inconnu effraie, il devient alors facile d’user de mots à tort.

La conteuse aurait pu s’inquiéter de cette investigation, montrer des signes d’inconforts, mais elle avait tant l’habitude de faire face à certaines suspicions, qu’elle considérait propres à son rôle. Après tout, elle n’était qu’une bohème, sans réelle demeure, et cela depuis toujours.

— Vous l’avez dit, ce village n’a pas l’habitude de voir des voyageurs, alors il devient facile de traiter quiconque de sorcière. Mais je vous rassure, je n’ai qu’une différence avec ceux vivant ici et ce n’est en aucun cas de la sorcellerie. Je passe simplement ma vie à aller de village en village, dans l’espoir d’apporter un peu de rêves à ceux le voulant.

Elle avait eu un léger sourire en disant ça. Cela n’avait pas forcément été son rêve, petite, de n’avoir ainsi aucune attache, mais le malheur et le destin l’avait mené sur cette voie. Elle n’avait pas choisi de perdre toute attache, alors elle avait appris à dompter cette solitude et à en faire sa force. À toujours voyager, elle restait au fait des évènements et pouvait ainsi mieux dissimuler sa nature. Qui irait prêter attention à ce qu’un pouvait dire à son sujet, quand il lui était possible d’avoir disparu dès le lendemain ? Et au moins, elle pouvait gagner honnêtement sa croûte sans pour autant se retrouver sans rien.

— Mais faut-il vraiment prêter attention à les paroles d’un homme saoul ?

Là était la véritable question qui, Wanda l’espérait, pourrait définitivement détourner tout soupçon. Car, au fond, la jeune femme espérait ne pas être chassée de ces lieux se montrant chaleureux.