MUSIC~ Fin août 2022. Seul au centre de réinsertion, Jérôme attendait, assis sur une chaise, le nez sur une vidéo YouTube. Ce qu'il foutait là ? Question de nostalgie disait-il, bien qu'il devait y retourner de temps en temps, pour exorciser là tous ses démons et voir d'autres gens autres que Faith et Luisa... Aujourd'hui ? Il comptait boire jusqu'à ce que son estomac en vomisse, mais pour ce genre de pratique, il n'était jamais seul. Car au service du dessus, chez les anciens combattants, Mr. Klaus terminait une de ces réunions interminables où le brun n'avait d'autre choix que de leur servir le même baratin sur son état de santé... Tout va bien les mecs, ok ? Comme s'ils étaient dupes au point de le laisser partir librement.

Pour ce qui était de la fourberie, le rouquin excellait dans ce domaine. Il ne comptait plus le nombre de nuits passées en cellule pour avoir volé et joué le pickpocket dans les rues de Silvergate. Car plus jeune, sous le joug d'une mère camée à l'héroïne, et en l'absence d'une présence paternelle dans sa vie, Valeska a toujours été livré à lui-même. Trop instable à tous les niveaux, rien ne laissait présager qu'il vivrait aussi longtemps et pourtant... Il avait fêté ici ses 24 ans comme un grand. Le quart de siècle était à sa portée, s'il s'efforçait de sortir la tête hors de l'eau. Autant avec Faith et Luisa, il avait vraiment envie d'essayer, de se sociabiliser assez pour ne plus passer pour le dernier des connards cyniques. Autant avec Klaus, l'envie d'y rester et de sombrer au fond du trou l'appelait si fort qu'il ne pouvait pas y résister. Un ange pour les filles, un démon pour son pote de beuverie.

Et maintenant que 17h sonnaient à l'horloge accrochée sur le mur du fond de la salle, Jérôme allait se concentrer sur sa part d'ombre, envoyer un message à Mr. Klaus et le rejoindre devant son antre... Pour ne pas dire le Cirque qu'il continuait de côtoyer pour faire semblant. Il n'était pas idiot le poil de carotte. Jamais il n'y croirait, que l'autre Hargreeves adorait y aller pour se confesser sur ses sentiments. Un mot qu'il avait un mal considérable à accepter tant il n'y était pas habitué... Il haussa les épaules et se donna une claque mentale. Car l'heure n'était plus à la torture, mais à la picole. Aah ! Quand même. T'as pas honte de m'faire attendre hein ? Le brun à la chevelure divine venait de sortir. Huit minutes de retard...

MUSIC~ Fin août 2022 Un an plus tôt environ, lors de sa première visite au centre de réinsertion pour les vétérans, Klaus avait été accueilli par Marcus. Alors même qu’il se pointait trop tard pour la réunion, au moment où tout le monde était parti et où ils rempilaient déjà les chaises, Marcus avait pris le temps. Il avait dit à son collègue d’y aller, et il avait pris le temps de l’écouter, avait su trouver les bons mots. Klaus l’avait aidé à ranger à la place de son binôme - c’était la moindre des choses, et puis, y avait pas franchement besoin de connaitre la maison pour empiler des chaises !

Klaus, qui avait jeté le prospectus sans le lire pendant des semaines et était finalement arrivé à moitié prêt à tourner les talons, avait finalement été bien content d’avoir sauté le pas, au point de revenir la semaine suivante, et la suivante encore. A un moment, il avait eu l’impression que ça l’aidait.

En janvier, d’ailleurs, il  il avait commencé à se pointer deux, trois fois par semaine. C’était la seule chose qui le sortait vraiment de sa maison vide trop grande pour lui, après tout. Cette maison où il était sensé vivre avec David, et où au final, il se retrouvait tout seul comme un con.

Il n’avait pris qu’une seule résolution pour Nouvel An : arrêter de boire. A ce moment-là, Marcus était parti depuis longtemps, mais son coach et les autres l’avaient soutenu dans cette décision, encouragé. Il avait un peu galéré, mais finalement, début avril, il avait obtenu un badge de sobriété d’un mois. Et bizarrement, alors que le “purple heart” qu’il avait à la maison était planqué dans un sac au grenier, il avait reçu ce petit bout de laiton avec la fierté d’un gosse qui, éternel cancre, recevrait un bon point pour la première fois. Cette “médaille” de pacotille l’avait rempli de fierté. Il avait tenu bon : deux mois, trois mois… La prochaine échéance était les six mois, un grand moment.

Mais à la faveur des feux d’artifices du 4 juillet, évocateurs de bruits de bataille à ses oreilles de vétéran, Klaus avait pété un plomb. Une bouteille de whiskey encore fermée à la main, il s’était traîné jusqu’au Centre de Réinsertion en espérant y croiser un visage familier pour le convaincre de ranger ça tout de suite et l’aider à trouver autre chose, n’importe quoi, pour se calmer. Ce jour-là, il avait rencontré Jérôme… Et les deux loustics avaient fini sous un pont, à siffler allègrement le Jack Daniel’s dans sa classique bouteille à étiquette noire.

Klaus avait eu honte d’avouer aux gens du Centre qu’il avait replongé… Alors il avait fermé sa gueule, fait comme si de rien n’était, et continué à fréquenter Jérôme car plus le temps passait, et plus il se sentait mieux avec son nouvel ami infréquentable que le cul sur une chaise dans ces réunions qui finissaient par tourner en rond, et où il avait toujours peur de s’empêtrer dans ses mensonges. Ce lui qui était autrefois un moment de répit pour le brun à l’âme écorchée était devenu un véritable donjon de torture…

Et cette réunion-là avait été particulièrement difficile. Pourquoi ? Et bien, parce qu’aujourd’hui, Klaus avait reçu son jeton de sobriété de six mois. Puisqu’il n’avait rien dit à personne, et faisait de son mieux pour ne plus arriver défoncé au centre, personne ne se doutait de rien… Alors à la fin de la séance, il avait dû accepter grâcieusement les félicitations de chacun alors que la honte le bouffait de l’intérieur. Voilà un trophée qui allait rejoindre le “purple heart” dans le grenier, dans la boîte des récompenses qu’il ne méritait pas…

Le petit pin’s en laiton était épinglé au revers de sa veste, et il ne pourrait l’enlever - l’arracher, plutôt - que lorsqu’il aurait quitté le bâtiment. En attendant, il était coincé avec ce truc. Et quand Jérôme allait voir ça… Il n’allait pas le louper, c’était sûr ! Et ça, à coup sûr, ça allait encore plus lui donner envie de sombrer au fond du trou. Foutu pour foutu, pas vrai ?

Enfin, il rejoignit le seul être qu’il pouvait véritablement considérer comme son ami.
- Désolé vieux, ça a trainé. répondit le brun à sa boutade, en essayant de planquer le jeton planté dans sa veste, dans son âme…
- Alors, on bouge ?

L’avait-il caché assez vite ? Ca, il n’y avait aucune chance…

MUSIC~ Et Jérôme souriait bêtement à ce qui s'approchait le plus d'un ami. Klaus sortait de sa traditionnelle réunion des alcooliques anonymes. Lui qui était sensé ne plus toucher à une seule petite flûte depuis des lustres avait allégrement replongé depuis qu'il avait fait connaissance avec le roux. Si l'un ne savait jamais se tenir en face d'un Magnum de grand cru ou non, l'autre se vantait de faire les poches du premier connard venu. Une vraie paire de bras cassés en somme !

Seulement, le plus hargneux des deux n'était pas dupe. Oh, il savait qu'il était un cas désespéré et qu'il détruisait tout ce qu'il touchait, toute relation qu'il entretenait, et que rien ni personne n'était en mesure de le sortir de ce satané cercle vicieux qu'il côtoyait depuis un moment. Et sa sœur @Faith Lehane alors ? À elle, il lui cachait des choses là. Et @Luisa Madrigal du coup ? Pire cas de figure, parce qu'il ressentait quelque chose pour cette femme, sans savoir ce que c'était exactement. Et entendre Klaus lui répéter qu'il s'agissait là d'amour, ça lui donnait envie de vomir... C'est toi la traînée ! lâcha t'il en avalant de travers tellement il se croyait drôle. Un sourire à large spectre apparut alors sur ce visage ravagé par la fatigue et la bêtise chronique. Hargreeves était-il lui aussi devenu plus débile qu'il ne l'était ? En planquant cette merde de médaille dans sa veste, comme si Jérôme ne l'avait pas vue ? Encore une babiole délivrée sans grand intérêt. Et il n'allait pas s'en priver. Mec c'est bon ! J'l'ai vue ta pastille. Pas la peine d'la planquer. Ça t'dis d'aller l'fêter autour d'un Réhoboam d'la mort ? C'est Mamie Ginette qui paie ! Le roux hurla de rire et embarqua son pote qui voulait bouger de là le plus vite possible. Ni l'un ni l'autre n'aimait cet endroit. À réfléchir, ils préféraient se coincer les parties dans une porte que d'y retourner... Pour rien. Leur point de chute ? Un petit pub à une rue du bâtiment XXL dans lequel ils se trouvaient encore, histoire de se foutre de la gueule des bénévoles de leurs assos sans être trop loin. Alors mon grand ! Ça raconte quoi d'beau ? Et est-c'que l'autre blondasse de Barnabé a fini par craquer ou quoi ? Barnabé, avec un nom pareil, il n'était pas prêt de l'oublier non. Ça lui était tellement facile de se moquer de ces gens-là, qu'il en oubliait presque que Klaus fut sobre une fois dans sa vie...