Mes journées sont rythmées de façon presque militaire, anciennes habitudes acquises dans ma jeunesse et qui ne m’ont jamais quitté. Je me lève toujours très tôt, comme si mon corps était incapable de se reposer, passé une certaine heure ; six heures les jours où je dors mal, sept heures pour les grasses matinées. Depuis que j'ai ouvert mon café, dans le centre ville (lointain rêve de gosse, bien loin de la police, mon premier métier) je me conforme à ces horaires pour surveiller le bon fonctionnement des choses, tout mettre en ordre. Une rigueur qui me colle à la peau et qui n'est pas sans me rappeler mon propre paternel (un vieux connard). J'essaie de faire des efforts pour me montrer un peu plus souple, et, avec l'âge, je dois dire que j'y arrive plutôt bien. Peut-être l'approche de la retraite me rend plus joyeux, plus décontracté ? Qui sait ! En tout cas, ce matin n'échappe pas à la règle alors que j'arrive dans le café pour l'ouverture. Je mets d'abord tout en ordre, arrange le menu du jour que j'affiche derrière le comptoir et frotte mes mains l'une contre l'autre avec la satisfaction du travail bien fait.

Je ne suis pas mécontent de ma vie, et je suis plutôt fier de mes accomplissements et, surtout, de mes deux enfants. Je ne sais pas si je leur ai déjà dit – j'en doute. Je ne suis pas très doué avec les mots et le sentimentalisme ; ce sont des trucs avec lesquels j'ai toujours eu du mal. Peut-être que j'ai été un peu dur avec eux, parfois, mais je suis heureux de voir qu'ils se débrouillent bien. Ma fille a fait des études en journalisme, et mon fils est prêt à prendre ma suite ici.... Aujourd'hui est peut-être le jour idéal pour lui passer le flambeau, lui apprendre la fameuse recette secrète qui fait le succès de mes cafés et de cette boutique. Il sera alors officiellement mon héritier, mon successeur, et je pourrais me retirer dans l'ombre, prendre une vraie retraite …. Ah ! Bah, la retraite, ce n'est pas tellement pour moi, pas tant que je saurais encore marcher ! Ça me laisse de bonnes années à venir. Mais je sais aussi que William brûle de prendre son indépendance, d'être le nouveau propriétaire, et je dois dire qu'il a été pas mal patient, dans son genre, ce qui mérite une récompense.

Je pose les mains sur mes hanches et lâche un léger rire avant de sortir dans l'arrière cours pour allumer un cigare. Oui, aujourd'hui sera le jour parfait pour prendre de nouveaux départs. L'été approche, l'affluence sera plus forte, et je sais que William saura s'occuper de tout ça avec brio, comme d'habitude. Mon fils a de la rigueur, il sait ce qu'il veut et il fait toujours tout pour l'obtenir. Il ne manque pas de bagout et d'élégance et je sais qu'il saura gérer l'affaire d'une main de maître, qu'il ne la laissera pas couler, qu'il la prend au sérieux. J'écrase mon cigare dans l'un des cendrier avant de retourner à l'intérieur. J'allume la lumière, fait l'ouverture, et attend que William arrive. Il est toujours à l'heure, pour le travail, ne manque jamais un jour. Je l'ai bien élevé, le gamin ! J'ai été un peu dur avec lui, dans son enfance, mais il faut croire que l'arrivée de sa sœur m'a adouci. Être père célibataire n'a pas toujours été facile, oh, ça, non, surtout avec mes anciens horaires de flics, mais je n'ai jamais eu l'envie de trouver quelqu'un avec qui partager ma vie, après le départ de leurs mères respectives. A croire que j'ai le chic pour trouver des nanas qui me laissent leurs poussins sans un regard en arrière. Ah, bah, c'est comme ça. J'allais pas laisser les deux gamins mourir de faim non plus, hein ? Et puis, moi, ça laisse un héritage, une trace, quand, moi, je ne serai plus là.  

Lorsque William arrive au café je pose sur le comptoir une tasse pour lui. Je ne m'encombre pas de bonjour, je n'ai jamais été très doué avec toutes ces formalités affectives avec ma progéniture.

« Goûte-moi ça. Si tu me cites tous les ingrédients, je crois que l'avenir est prêt à changer pour toi aujourd'hui. » et, joignant le geste à la parole, je pose les clés du café à côté de la tasse avant de croiser les bras, le mettant au défi.

Qui aurait cru qu'à bientôt quarante ans, ma vie serait aussi morne et terne ?

Un éternel célibataire, employé dans le propre café de son père, vivant dans l'appartement de ce dernier. Cela ne donne pas envie, pas vrai ? Devoir affronter chaque soir le silence lourd de notre domicile est pour moi une véritable corvée, tout comme le fait de devoir frotter la cuvette des toilettes après le passage d'un malade d'une gastro. N'allez pas dire cependant que je n'aime pas mon père, c'est faux, bien entendu, je l'aime terriblement, plus que ma vie parfois, mais je dois avouer que plus je vieillis, plus sa présence me rappelle à quel point j'ai échoué sans ma vie. Je n'ai rien accompli, rien fait qui puisse justifier que je mérite de respirer encore sur cette terre. Mis à part préparer et servir des cafés, ma vie se résume à écouter les malheurs des autres, voir l'homme que j'aime s'éloigner de moi petit à petit et épouser ma propre soeur... Pitoyable n'est ce pas ?

Ce matin là, comme tous les jours, je mets ma tête sous mon oreiller pour ne pas entendre mon paternel qui se lève aux aurores. Il ne tarde pas à descendre au café pour préparer l'ouverture. Quant à moi, après quelques minutes à batailler avec mon envie de rester au lit, je me lève enfin et m'habille. Café serré, pain avec un oeuf au plat, et me voilà prêt pour la journée. Je descends rejoindre mon père. Ce dernier m'attends de pied ferme et, sans s'embarrasser d'un bonjour, il déposa devant moi une tasse de café et me demanda de deviner tous les ingrédients, me disant que, si j'y parvenais, mon avenir changerait. Pour illustrer son propos, il posa à côté de la tasse les clés du restaurant. Je lève la tête vers lui, partagé entre le dépit et la surprise. J'ai envie de lui dire : il était temps ! À la place, je prends tout d'abord un verre d'eau que j'avale d'un trait afin de chasser le goût du café que je viens de boire et prends la tasse qu'il a posé. Je sens l'odeur qui en émane tout d'abord et prends une minuscule gorgée que je fais tourner dans ma bouche, puis une gorgée plus importante. Je prends le temps de sentir toutes les saveurs. Je me doute qu'il ne servira à rien de parler de caféine à papa.. Cependant... Grains de Colombie, arôme boisé avec une pointe de cèdre. C'est l'approvisionnement de juin dernier que tu as mis dans cette tasse. Je reprends une gorgée et reprends : Ensuite, je sens de la cannelle, mais juste un soupçon, et un doigt de ce lait entier que tu prends dans cette ferme à deux heures à l'ouest de la ville.... Je sais que je n'ai pas le droit à l'erreur, mais je me sens détendu, j'ai attendu ce moment pendant des années. Je reprends : Est ce de la muscade que je sens à l'arrière de ma langue ? Je croyais que tu n'en avais plus. Je repose la tasse et le regarde droit dans les yeux. Je lui déclare : C'est un café corsé et riche, mais ce n'est pas celui qui fait ton succès, papa. Tu sers celui là pendant les périodes de Noël, avec du pain d'épices. J'attends son verdict, confiant mais je ne peux m'empêcher de me dire que j'ai peut être oublié quelque chose. Bon sang, si je réussi, le café sera enfin à moi et papa pourra prendre sa retraite. Je pourrais enfin faire quelque chose de ma chienne de vie.

La vie est dure, et c'est peut-être pour cela que je la rends parfois si difficile à mes enfants. On n'obtient rien sans rien, et William me donne parfois l'impression d'être perdu, indécis – j'ai du mal à lâcher prise, avec lui. Un fossé nous sépare et, bien souvent, je ne sais pas comment me comporter quand nous nous retrouvons tous les deux, à devoir discuter. Il vit encore avec moi, et cela ne me dérange pas dans la mesure où je le vois prendre ses responsabilités. Je n'ai pas toujours été sympa, avec le gamin, et j'imagine qu'il aurait pas mal de choses à me dire, concernant son éducation, mais je ne suis pas parfait (personne ne l'est). En revanche, je sais que je veux le meilleur pour sa sœur et lui – on ne peut pas m'enlever cette certitude. Il est clair que j'aurais préféré voir William faire autre chose de sa vie que prendre ma suite au bar (et c'est sans doute pour ça que je me montre si difficile, concernant la succession). J'aurais préféré qu'il se passionne pour de longues études, lui qui est si souvent plongé dans des bouquins. Il aurait pu faire quelque chose de mieux, paroles répétées mais si rarement écoutées. Ma foi ! Puisque le grand dadet est sûr de lui, pourquoi ne pas lui laisser sa chance et prendre une véritable retraite ? Il doit vivre sa vie comme il l'entend, finalement, s'il est sûr, si c'est ce qu'il a décidé.

Lorsqu'il arrive, je le mets donc aussitôt à l'épreuve, ma décision prise. Je ne doute pas vraiment de sa réussite. Il connaît nos cafés sur le bout des doigts, les recettes sont réalisées à la perfection et il sait tout ce qu'il y a à savoir sur les stocks et les approvisionnements. William saura s'en sortir, je le sais bien. Quelque chose, en moi, pourtant, se montre réticent. Une pressentiment que je ne saurais nommer – et je n'aime pas sentir mes poils se dresser de la sorte sur mes avants-bras. J'ai pas un mauvais instinct et, là, il me met en garde – mais contre quoi ? C'est ce qu'il faut que je comprenne. Je pousse malgré tout la tasse en direction de William qui la goûte sans protester. Je vois malgré tout, dans son regard, briller la flamme de l'ambition. Après quelques secondes, il énumère les ingrédients qui composent le contenu de sa boisson. Et il a tout juste. Je ne devrais pas être si surpris ; après tout, je lui ai tout enseigné pendant des années, et il est devenu un expert en la matière. Un très léger soupir franchit mes lèvres alors que je croise les bras sur ma poitrine.

« Je garde toujours quelques sachets d'avance, ma petite réserve personnelle, » réponds-tu en lissant ta moustache, l'air pensif. « Ce sont en effet les bons ingrédients. Rien de difficile pour toi, j'imagine. » C'est une recette que je ne fais plus très souvent, qui est moins demandé en cette période de l'année, mais je devais m'attendre à un sans faute de sa part, malgré les quelques pièges placés ici et là. A sa remarque, un petit rire t'échappe. « Ah, tu croyais qu'il s'agissait de la fameuse recette secrète de l'établissement, hein ? Le succès ne se gagne pas comme ça, jeune homme, mais je ne t'apprends rien, je te l'ai assez répété. Je voulais m'assurer que tu ne relâchais pas tes efforts. » Je lâche un nouveau soupir et secoue la tête. Les années sont peut-être passées un peu trop vite. Élever seul deux enfants et avoir un boulot de flic n'a pas été très facile, je n'ai pas toujours été très présent dans leurs vies respectives, mais j'estime qu'ils peuvent voler de leurs propres ailes, alors à quoi bon retenir William à mes crochets plus longtemps, hm ? « Je ne vais pas te demander tes motivations, je sais que tu l'es, fils. »

Je pose la tasse dans l'évier et fais couler l'eau pour la laver rapidement avant que le café n'ouvre ses portes de manière officielle. Je secoue légèrement la tête et repose mon attention sur William. Je le revois encore, petit, à faire ses devoirs sur un coin de la table du salon. Il a toujours été discret, jamais à causer trop de problèmes, et même si nous nous sommes souvent disputés, plus tard, lorsque sont venus les affres de l'adolescence et, plus tard, du début de sa vie de jeune adulte, je sais qu'il ne fera pas un mauvais patron. Il a de l'ambition, et le charisme qui plaît à la génération d'aujourd'hui. Je lui ai inculqué la rigueur et le sérieux, il ne fera donc pas couler l'affaire. Je passe le torchon sur mon épaule et sèche mes mains dessus.

« Je ne vais pas faire durer le suspens éternellement. Je pense qu'il est temps que ce café te revienne. Tu auras toujours ton vieux père sur le dos, le temps que tout soit officiellement réglé, les papiers signés et tous les tracas administratifs réglés. Mais cet établissement te revient, William. Allez, viens donc par là. »

Je lui fais un signe de tête pour qu'il me suive dans la réserve. Mon coffee shop a eu un succès assez rapide grâce à une recette que j'ai ramené d'un de mes voyages. Une vieille femme m'en avait offert une tasse, dans un petit village, et, bon sang, je n'ai jamais pu en oublier le goût. Des années à tenter de reproduire le goût à l'identitque jusqu'à enfin trouver le fin mot de l'histoire.

« Tu veux savoir le secret, hein ? Celui que tu as essayé de trouver de toutes les manières possible sans y parvenir ? » un nouveau rire s'échappe de mes lèvres. « Eh bien ce secret se cache dans un mot : du beurre de yack ! » je décrète, non fierté, avant de déposer entre nous, sur la petite table en fer de la réserve, le beurre fabriqué maison. C'est un ingrédient qui s'utilise d'ordinaire dans des thés tibétain mais qui donne à mes cafés ce goût si original, décalé et recherché.

Je ne m'attendais pas à ce que Papa se décide aujourd'hui à me laisser le coffee shop.

Cela fait tellement longtemps, si bien que j'avais cessé de croire qu'il allait prendre sa retraite avant son trépas. Papa est ainsi. Il vit pour être actif. Il ne supporte pas de rester sans rien faire pendant plus d'une heure. Il se lève tôt, se couche tard et est au travail toute la journée, ne prenant du repos que pour recharger ses batteries, manger un morceau. C'est pour cela que le voir se décider enfin à prendre sa retraite a été pour moi une véritable surprise. Lorsque j'achève son test, il me dit que je l'avais bien évidemment réussi, et qu'il n'en avait pas douté une seule seconde. Il voulait surtout s'assurer que je ne relâchais pas mes efforts. Je souris et réponds, sur un ton taquin :Papa, j'ai 35 ans, j'ai eu le temps pour te prouver ma valeur. Je suis content que tu t'en rendes compte, enfin. Il ne m'interrogea pas sur mes motivations et je n'en rajoute pas plus, car il est inutile de s'étendre dessus. Il me voit travailler dans son commerce depuis plus de 15 ans, il sait que je suis plus que désireux de prendre sa suite.

Il nettoya la tasse et enfin, il m'annonça que le café me revenait. Je redresse la tête, l'écoutant sans dire un mot. Au fond de moi, j'ai l'impression que c'est un rêve. Je ne peux pas encore réaliser que cela arrive enfin, qu'il me laisse l'établissement. Il l'a pourtant dit, et ses mots hantent mon esprit comme le ferait un fantome dans son manoir. Tel un écho, je ressasse pendant tout le temps où je le suis dans la réserve, et j'essaye tant bien que mal de me faire à l'idée. C'est enfin arrivé, c'est enfin le moment, Papa me laisse le café, je vais pouvoir me lancer et vivre ma vie par moi même et non dans son ombre. Cependant, il y a bien quelques mots qui finissent par franchir mes lèvres : Et toi... Et toi, Papa, que vas tu faire maintenant ? Même si sa présence est parfois lourde à supporter, je dois avouer que son départ me ferait souffrir. J'aime mon père, c'est évident, et il me manquerait s'il venait à s'en aller, même si je lui souhaite de vivre une retraite paisible et heureuse... Quoique... Papa ne connait pas ce mot : paisible...

Je le suis dans la réserve, et il sortit d'un frigo un petit paquet que je n'avais encore jamais vu. Je comprends vite qu'il devait le garder secret dans un coin, et ne l'avait sorti que pour l'occasion. Du beurre de Yack ? Pardon ? Je laisse échapper un petit rire puis je reprends contenance en voyant son air sérieux. Je m'apprpche et, du bout d'un couteau, je prélève un minuscule morceau de ce beurre et le goutte. Je dis, surpris : Je pensais que tu te moquais de moi, mais je me trompais. C'est exactement la saveur que l'on sent dans ta recette secrète ! Incroyable. J'ai passé tant d'années à essayer de découvrir d'où venait ce gout, je n'aurais jamais imaginé que cela viendrait de ce produit... Où te fournis tu ? Cela doit te couter un bras Papa, j'ai tant de questions à te poser ! Mais déjà, comment as tu découvert ce beurre ? Je suis aussi excité qu'un enfant à Noël ! Du Beurre de Yack ! Improbable mais délicieux ! Papa est vraiment plein de surprises, je me demande ce qu'il cache d'autre dans sa réserve à lui...

Trente-cinq ans. C’est vrai que le temps passe. Je me souviens encore de ce gosse, à peine plus haut que trois pommes, qui avait déjà l’air plus déterminé que moi au même âge. J’étais pas fait pour être père, ah ça, non. Trop impatient, parfois trop dur, et surtout pas démonstratif pour un sou. Je ne sais même pas si mes gamins savent que je les aime. J’suis pas doué avec les mots, pas doué avec les gestes. Le seul truc que je peux faire, c’est un acte de confiance, et il serait peut-être temps, en effet. William n’a plus cinq ans. Il a grandi, est devenu un homme - peut-être pas celui dont je rêvais mais, eh, c’est leur vie, pas la mienne. C’est donc pour ça que je sors tout mon discours, et que je consens à lui léguer mon café. Mais pas sans condition, il doit me connaître, depuis le temps.

« Ah parce que tu crois te débarrasser de ton vieux père comme ça, du jour au lendemain ? » je plaisante à demi-mot, grommellement derrière ma moustache. « Je te lègue l’affaire, mais le temps des démarches, je resterai là. Et après, bah, il paraît que la retraite c’est pas mal, il faudrait que j’essaye. »

Pour quelqu’un qui a tout plaqué pour ouvrir son café, je dois dire que j’ai du mal à lâcher prise. J’étais pas un mauvais flic, mais ça me correspondait plus, et puis élever deux enfants en tant que père célibataire avant des horaires random, ce n’était pas vraiment envisageable. Alors j’ai ouvert un établissement, et ça a plutôt bien marché ; mes gamins venaient avec moi, quand ils n’avaient pas école, et tout s’est plutôt bien passé, finalement. Mais, c’est vrai, lâcher cet endroit ça me fera forcément quelque chose. Je deviens un peu sentimental, on dirait ; mais, à mon âge, j’ai bien le droit d’être un peu nostalgique. Personne ne devrait m’en vouloir, je pense.

Je ne suis pas sûr que la retraite me conviendra autant que j’essaye de m’en convaincre, mais je trouverai de quoi m’occuper. Déjà, remonter les bretelles de ces clowns du département des fêtes et loisirs. Je me suis engagé car j’habite là depuis belle lurette, mais ils ont des idées vraiment ridicules. Je ne comprendrais jamais ce que ces gens font là. Enfin bref. C’est pas comme si j’aimais parler de la couleur des ballons de baudruche pour le bal, de toute façon. Je fais plutôt ça pour occuper mon temps libre. Et du temps libre, je vais en avoir.

Le moment est donc venu. Je dévoile mon ingrédient secret. J’aurais bien aimé lui sortir quelque chose du genre il n’y a pas de secret, simplement pour voir sa tête déconfite, mais il y en a bien un ! « Haha, tu crois que ton vieux père se fiche de toi, hein ? Figure-toi que le beurre de yack est beaucoup utilisé pour le thé, au Tibet. J’ai appris ça lors d’un de mes voyages, dans ma jeunesse. Et je me suis dit : et pourquoi pas dans le café. Et bam, le succès. Le lait de Yack est plus gras que celui de la vache, et légèrement salé. Et ça fait mousser naturellement le café, ce qui le rend un peu onctueux. »

Comme quoi, tes voyages ne t’auront pas servi à rien, à défaut de tes premiers rêves de gosse : t’enrichir en trouvant des filons. Et puis t’as eu des gosses. Tu as divorcé. T’es devenu père célibataire. Et t’as plus eu trop de temps. William me fait un peu rire, au moins cette découverte l’aura rendu plus enthousiaste que ce matin, lorsqu’il est arrivé. A trente-cinq ans, il est quand même bien aigri, le gamin.

« Pour les fournisseurs, j’ai mes contacts … Je te filerai les tuyaux. Faudrait pas noyer l’affaire familiale ! Et, bien sûr, j'imagine que tu auras toi aussi tes petits secrets, pour de nouvelles recettes. »