Octobre 2024 Les mois passés se sont révélés bien plus froid que les années précédentes, mais ce mois d’octobre représente une accalmie climatique inespérée pour le parking, une sorte d’été indien pourrait-on dire. Oh, bien sûr, il fait toujours un froid de canard et une épaisse couche de neige recouvre toujours l’extérieur. Mais le vent est devenu moins humide, moins mordant, et le ciel demeure dégagé. C’est le moment rêvé pour une expédition de ravitaillement.

Il y a un léger flottement dans le leadership ces derniers mois, depuis que Jonah a disparu pour un raid solo après une énième engueulade. Il lui en voulait de quoi, merde ? De ne pas lui avoir dit que sa grand-mère avait fait les camps ? Elle était juive, et ne s’en était jamais cachée. D’avoir fait un service militaire pour payer ses études, comme tant d’autres jeunes américains désillusionnés par le prix de la fac ? De ne pas lui avoir dit qu’elle souffrait de stress post-traumatique et préférait laisser cette part de sa vie derrière elle ? De s’être présentée sous son nom légal, Esme Frost, au lieu de son nom de naissance, Theodora Goodwin, à une époque où elle ne le connaissait pas ? De ne pas avoir su comment révéler la vérité à l’homme qu’elle aimait une fois qu’elle avait compris qu’elle pouvait lui faire confiance, de peur qu’il ne la voie différemment ? Merde quoi à la fin !

De toute manière, les états d’âme de Theo n’avaient plus aucune importance, vu que Jonah n’était plus là. Mort, disaient certains. Mordu, disaient d’autres. Et parfois, la jeune femme songeait qu’il était bien trop fort pour cela, et que peut-être, peut-être, était-il parti pour ne plus avoir à la revoir. Ridicule, bien sûr, Jonah avait trop de sens du devoir et de l’intégrité pour prendre une telle décision – mais parfois, le doute la taraudait.

En tout cas, Theodora n’était pas faite pour diriger, et n’avait aucune intention de lever sa tête au-dessus de la foule pour se manifester. Elle pouvait être responsable d’une expédition de ravitaillement ou de fouilles archéologiques, pas de la survie d’une communauté. Aujourd’hui, justement, elle avait annoncé qu’elle voulait profiter de l’accalmie pour monter une expédition de quelques jours, afin de chercher des outils et des matériaux – tout ce qu’il fallait pour le projet ambitieux de la McGyver attitrée du parking : concevoir une ferme hydroponique.

Elle ne savait pas vraiment si quelqu’un allait vouloir se joindre à elle ou non, et n’avait pas vraiment donné de rendez-vous à qui que ce soit, mais peut-être croiserait-elle d’autres membres du Parking – ou même des gens d’ailleurs – au fil de son expédition. Elle s’était désormais arrêtée pour monter le camp – un igloo qui ne devrait lui prendre qu'une petite heure, qu’elle n’aurait pas à récupérer au matin, et qui la protègerait mieux que n’importe quelle tente. Insuffisant pour les blizzards locaux, comme le lui avait dit Jonah le jour de leur rencontre, mais bien assez pour la météo actuelle.

Theodora était en train de façonner l'un des blocs lorsqu'elle crut apercevoir du mouvement dans les arbres enneigés. Une main sur la réplique de lance aztèque qu’elle avait conçue à l’époque où elle faisait de l’archéologie expérimentale au musée, elle lança :
« Y a quelqu’un ? »

Si c'était Jonah, il allait bien se foutre de sa gueule. Mais bien sûr, ce n'était pas Jonah. Ce ne serait plus jamais Jonah.
« Si vous n'êtes pas un ours, venez m'aidez, et on pourra le partager pour la nuit. »