Scylla Ramshorn. L'Etincelle des Enflammés. Voilà ce qu'était allée pitcher sa mère, hier soir, lors d'une assemblée clanique à laquelle elle l'avait pour ainsi dire traînée de force.

Elle affectait des airs d'implication, de sollicitude, disait ne brûler que pour le peuple, mais sous ce voile de manipulation, Scylla le savait bien : La matriarche des Ramshorn n'était qu'une ambitieuse. Elle ne se souciait que du pouvoir qu'elle pouvait gagner au sein des Enflammés, et de celui que les Enflammés pouvaient gagner au sein du Royaume d'Adrijan. Certains membres du clan se souciaient réellement de leur cause, bien sûr, mais Charybde Ramshorn n'était pas de ceux-là. Elle avait fait ce discours grandiose - un discours dont elle s'était bien gardée d'avertir sa fille - nimbée d'une aura magique flamboyante, juste pour l'effet.

L'évènement était à peine terminé, les deux Ramshorn étaient à peine seules, que Scylla était allée tomber sur sa mère.
- C'était quoi, ça.
- Allons, Scylla. Pas la peine de faire un caprice. Nous savons toutes les deux qu'un jour où l'autre, tu devras arrêter de jouer aux petits soldats. Je prépare simplement le terrain pour ta future entrée en politique, et ta dernière promotion était une opportunité à exploiter.

- Une opportunité à exploiter... Non mais tu t'entends ?! Tu sais, parfois, j'ai honte de mes origines. Pas parce que je suis une draconique. Pas parce que je descends des Ramshorn, une lignée d'Enflammés et d'Envoûteurs. Mais parce que je suis la fille d'une femme aussi manipulatrice, narcissique, égocentrique et arriviste !

Je ne dis pas que je ne crois pas aux valeurs des Enflammés. Mais regarde autour de toi. Nous n'avons pas d'Inquisition - ou je ne sais pas trop comment ça s'appelle - comme à Proyca. Le peuple n'est pas en proie à la famine, aux loups ou aux chacals. La princesse Theodora fonde à tour de bras des orphelinats, des maisons de travail salubres, des hospices et des foyers pour les jeunes mères. Adrijan n'est pas encore parfait, c'est sûr. Il y a sans doute encore des choses qui doivent évoluer. Mais ce qui menace ma liberté aujourd'hui, ce n'est pas la situation politique ! C'est toi, et toi seule !

Je connais ma place : protéger et servir le peuple d'Adrijan. Si tu n'es pas satisfaite de la tienne, c'est ton problème. Alors tes jeux de pouvoir, tu peux te les garder.

Elle avait prononcé ce petit discours individuel d'une traite, aussi altière que sa mère aurait voulu la voir en société. Elle ne lui avait pas laissé la moindre chance d'en placer une avant d'avoir terminé. Et puis, fière de son effet, elle avait levé une main à son visage pour l'embraser, afin d'activer un sort, non pas d'altération d'apparence, mais de téléportation.

Bien sûr, Charybde Ramshorn était familière de ce geste, puisqu'elle le lui avait enseigné elle-même. Son bras avait fusé, aussi vif qu'un serpent, et emprisonné le poignet de sa fille avant que les flammes ne touchent son visage. Elle avait plongé son regard reptilien, d'un rouge flamboyant, aux pupilles verticales, dans les yeux ardents de sa fille.

- Et comment crois-tu que l'as obtenue, ta place ? lui avait-elle demandé, la voix chargée de venin.

Et puis elle avait, d'elle-même, achevé le mouvement de sa fille, mettant fin à la conversation. Les flammes indolores avaient léché ses écailles, et en un battement de cils, elle s'était retrouvée dans sa chambre, étouffant dans son oreiller un hurlement de rage et de frustration.

Autant dire qu'elle n'avait pas dormi de la nuit.

Mais aujourd'hui était un autre jour et, reposée ou pas, le devoir l'appelait. Une cérémonie allait avoir lieu aujourd'hui, pour récompenser un mystérieux héros de guerre dont elle ignorait tout - ou du moins, c'est ce qu'elle pensait. En attendant, elle était de patrouille - un nouveau petit insigne sur son uniforme ne l'en dispensait pas, et c'était tant mieux.

Scylla remontait donc un couloir, étudiant les lieux avec intérêt à la recherche du moindre élément suspect, lorsqu'elle croisa un soldat en uniforme de l'armée - et non de la garde -qui remontait le couloir en sens inverse. Elle enregistra vaguement que le visage était familier et ne l'étudia pas davantage, conservant son attention pour l'inhabituel.

"Bonjour. Je me demandais si vous aviez plus d'informations sur..."
Cette voix était tout aussi familière qu'inattendue, et cette fois, Scylla s'interrompit pour dévisager son interlocutrice.

"Scylla ?"
- Hana ?
Leurs paroles s'étaient télescopées, dans une synchronisation aussi parfaite que la nuit où - la nuit qu'elle s'était juré d'oublier.

Scylla se reprit, adoptant à nouveau une posture de soldate.
Elle jeta un oeil rapide à l'uniforme de son ancienne camarade, cherchant l'insigne de son rang pour s'adresser à elle comme elle le devait.

- Capitaine Song, murmura-t-elle, surprise.
Ca faisait vraiment bizarre, elle était certaine qu'Hana aurait au moins atteint son rang, voire un rang supérieur.
Les mots de sa mère vrillaient toujours dans son esprit.
- Et comment crois-tu que l'as obtenue, ta place ?
Qu'avait-elle voulu dire, au juste ?

Elle secoua la tête.
- Capitaine Song, répéta la Brigadier, se reprenant.
- Peut-être puis-je te - vous - renseigner ? Vous venez d'arriver au Palais, n'est-ce pas ?