Le siège principal de la compagnie Princeton se trouvait bien entendu dans la capitale d’Astria, magnifique cité si on lui demandait son avis. Néanmoins, il arrivait de temps à autres que Chad se rende en personne dans les usines plus lointaines pour leur faire parvenir des plans en toute sécurité : il ne faisait confiance à personne, pour l’instant. En effet, il soupçonnait que l’explosion qui avait pris le reste de sa famille soit volontaire. Il était le coupable parfait. D’héritier de seconde zone, il avait été propulsé au premier plan, non seulement de l’empire Princeton, mais aussi de leur planète elle-même. Un véritable martyr, et l’accusé parfait. Pourtant, D’autant qu’avec son air hautain et méprisant, il n’avait jamais eu l’air d’être particulièrement bienveillant ou sympathique. Mais il y avait une marge entre être hautain et être un meurtrier. Il ne l’était pas.

Chad avait éprouvé beaucoup de jalousie à l’égard de son frère. Mais il n’avait jamais envisagé de le tuer. Et encore moins de tuer leur père, qui n’avait fait que partager en fonction de l’ordre de naissance. En tout cas, il se sentait bien seul, assis dans cet immense bureau dont il n’était pas supposé hériter.

Il observait des documents, des plans. Il essayait de trouver un modèle de nouvelle arme, parce que c’était le plus simple pour lui, c’était ce pour quoi il avait été formé, à la base. Autant qu’il commence par ça. Quand on toqua à la porte, le grand patron s’agaça. Le voilà déconcentré sans avoir prévu de sortir la tête de son prototype.

- Il me semblait vous avoir demandé d’annoncer les invités avant de…

La porte s’ouvrit, faisant vraisemblablement fi de son agacement. Il se calma par ailleurs tout de suite, sa secrétaire n’était même pas là pour montrer le chemin à Octavia. Ben mince, il pensait lui parler à elle, pas faire face à sa collègue. Oops.

- Oh… Salut. Aussi bien qu’on le puisse. Désolé, je pensais que c’était ma secrétaire qui avait encore oublié mes instructions.

Ca arrivait souvent, il fallait le dire. Chad ne voulait pas manquer de respect à Octavia, elle avait déjà eu du mal à lui faire confiance, au début. Il ne s’attendait pas à ce qu’elle lui offrait. Depuis son héritage, quelques mois plus tôt, Chad s’était senti plus seul que jamais. La plupart des gens lui avaient déjà tourné le dos. Et surtout, il n’y avait pas grand onde à qui il puisse parler de ses doutes au sujet de l’explosion.

- Je suis d’accord. Mais j’ignore si c’était la véritable motivation de l’explosion.

Chad se dirigea vers l’un des murs du bureau, et en déploya un tableau blanc, griffonné d’un tas de réflexions diverses et variées. On pouvait y lire “Déstabiliser l'empire”, “évincer un représentant”, ou encore “concurrence”. Chad avait trop d’idées qui s’emmêlaient.

- La vraie question… c’est de savoir si le commanditaire avait prévu que je soie présent ce jour-là ou non.

Mettre Chad sur le devant de la scène, avec une crédibilité au plus bas, était un plan des mieux élaborés si l’on souhaitait faire perdre du prestige à la compagnie. Mais se débarrasser de tous les Princeton était plus rapide pour les évincer complètement. Alors, savoir si c’était prévu ou non, pour lui… c’était la première étape.

Chad pouvait se montrer méprisant avec les gens qu’il estimait plus faibles ou de plus basse classe que lui. Ce n’était pas bien étonnant, lorsque l’on connaissait sa famille. Son père, comme son frère, avaient toujours été particulièrement froids et hautains. Chad faisait presque pâle figure, à côté d’eux, honnêtement. Il faisait de son mieux pour représenter l’héritage de sa famille, mais il n’était pas éduqué pour reprendre tout l’empire. Il ne devait hériter que de la partie secondaire, à l’origine. Alors, qu’est-ce qu’il allait bien pouvoir faire avec toutes cette charge de travail sur les bras ? Il était particulièrement stressé par tout ce qui lui était si vite tombé dessus. Il n’avait même pas eu le temps de faire le deuil de sa famille, l’empire devait passer en premier. Enfin, en second. En premier, il y avait bien entendu leur bien aimée Reine.

Il marmonna quelque chose au sujet de la sécurité, qui se perdait, si tout le monde pouvait se promener partout sans que la secrétaire soit au courant. Il faudrait qu’il pense à renforcer tout ça. Il observa le tableau, et réfléchit. La liste des employés de l’usine détruite, qui était vide désormais, étaient peu nombreux.

- Il y en a peu. Mais il y en a bien quelques-uns.

Il se dirigea vers son bureau, pour en sortir la liste qu’il avait lui-même déjà utilisé, lue et relue une centaine de fois, en essayant de se rappeler de tout ce qu’il avait pu dire à chacun depuis. Il la fit glisser sur son bureau vers Octavia. Puis, il releva ses yeux obsidienne vers elle.

- C’est complètement idiot. C’était couru d’avance que sans mon père et mon frère, l’empire Princeton avait encore un héritier. Ils n’ont pas réfléchi très loin, s’il n’ont pas pensé à ça. Je préfère éviter de croire que ma famille a été laminée par des imbéciles.

Ce qui ne l’avançait pas. La possibilité qu’ils soient complètement cons ne lui avait pas frôlé l’esprit, parce que le génie de son père, et celui de son frère, surpassaient de loin tous les cerveaux qu’il connaissait. Il soupira. Il y avait trop d’informations.

- Qu’ils essaient, je les attends. Ils ne seront pas déçus du voyage.

Chad débordait de confiance en lui, de manière générale. Il avait appris à faire les plans des armes, et il ne mettrait pas longtemps à mettre au point un système de sécurité mortel, qui ne laisserait rien ni personne passer.

L’héritier des Princeton ne savait plus où donner de la tête. Il se sentait complètement dépassé par la situation. Du jour au lendemain, il était devenu le gérant de l’empire, puis quelques semaines plus tard seulement un représentant d’Astria. Le deuil de sa famille n’avait pas été fait, l’enterrement une formalité. Le jeune Astrolite se sentait déjà épuisé. Il devait encore faire le tour de certaines usines pour se présenter en temps que nouveau patron, et résoudre l’énigme qui constituait l’explosion qui avait enlevé sa famille. Mais il gardait la tête haute autant que possible, ne laissant paraître que le moins qu’il pouvait. Si la Reine avait pu voir sa détresse pendant quelques temps, aujourd’hui, Chad Princeton se tenait bien droit, prêt à affronter les ennemis de l’empire. Du moins, en apparence. Etait-il vraiment prêt ? Pas tout à fait, sans doute. Sa longue veste bleue voletait derrière lui tandis qu’il marchait vers le tableau blanc, lui donnant un iar presque royal. Une image à laquelle il tenait, mais qui pouvait s’ébrécher trop facilement.

Evidemment, Octavia n’avait pas tort. En même temps, il serait idiot de ne pas se préparer à affronter l’assassin. A moins qu’il ne fasse croire qu’il était convaincu qu’il ne s’agisse d’un accident. Ce serait de toute façon la version officielle diffusée dans les médias : la tragique explosion accidentelle qui avait emporté le dirigeant de l’empire Princeton et l’un de ses héritiers. Alors que sa partenaire revenait à ses côtés, Chad ressentit un soupçon de chaleur se diffuser dans son coeur alors qu’elle lui témoignait qu’il n’était pas seul. Parce qu’au fond, il s’était senti particulièrement isolé ces derniers temps. Entre cette histoire et le fait qu’on le prenne pour l’assassin, il n’avait que peu de soutien. La Reine et Octavia étaient les principales personnes sur qui il pouvait compter. Il tourna la tête vers elle, reconnaissant.

- Merci, Octavia.

Pour son soutien et les efforts qu’elle mettait en place pour l’aider à comprendre qui pouvait avoir organisé tout ça. A l’heure actuelle, cela comptait plus pour lui que n’importe quoi.
Si l’idée d’Octavia était bonne sur le papier, Chad se demandait s’il souhaitait vraiment utiliser son deuil inachevé pour tendre un piège à un ennemi. S’il souhaitait vraiment que sa famille défunte devienne un outil. Il tourna la tête vers les portraits de son père et de son frère qu’il avait fait accrocher dans le bureau, à la recherche de… leur conseil ? Leur approbation ? Il pouvait entendre son père d’ici. “Tu dois faire tout ce qui est en ton pouvoir pour écraser les adversaires de l’Empire.” Ce serait l’avis de son géniteur. Au moins ne seraient-ils pas morts pour rien, sans doute. Pensif, l’héritier détourna les yeux de ceux qui auraient réellement dû se trouver dans ce bureau en ce moment, pour faire face à Octavia.

- Tu as peut-être raison… Mais nous devrons être sûrs que nous ne perdrons pas le contrôle de la situation.

Si Chad devait jouer les appâts, il ne pouvait pas se permettre d’y laisser sa vie. Déjà, il n’en avait aucune envie, mourir ça n’était pas son projet. Ils ne savaient pas si le coupable changerait ou non de mode opératoire, après tout. Interroger les employés était bien l’option la plus évidente, mais elle révélerait également qu’ils étaient à la recherche du meurtrier.

- Si l’idée c’est de ne rien laisser paraître et de prétendre que je pense qu’il s’agit d’un accident, interroger les employés risque de compromettre la manoeuvre.

Ce problème lui avait l’air d’être un noeud sans fin. Quoi qu’il fasse, il y avait toujours un truc emmêlé derrière pour lui compliquer la vie. Mais il devait trouver un moyen de démêler tout ça. Il n’avait pas le choix.

Chad n’avait pas le droit à l’erreur. Déjà, il n’y avait déjà pas droit du temps de son père. Il n’avait jamais été que le second, et il devait être à la hauteur de son frère qui représentait tout ce que les Princeton devaient représenter. Aujourd’hui, ses erreurs ne se reporteraient pas que sur sa famille, mais sur Astria, sur la Reine, et ça, c’était beaucoup plus embêtant encore. En plus de faire effondrer l’empire Princeton, il risquait de créer des changements politiques s’il se foirait. Perdre la vie maintenant obligerait la reine à perdre du temps à choisir un autre représentant, et ferait s’effondrer ce que sa famille avait mis tant de générations à construire. Tout le poids de l’héritage lui était tombé sur les épaules avec une brutalité telle qu’il n’avait pas eu le temps ni l’opportunité de faire son deuil. Tout ce qu’il avait pu faire, c’était faire accrocher les portraits de son père et de son frère dans son nouveau bureau. Utiliser le deuil pour tendre un piège lui paraissait à la limite de la moralité, mais il savait aussi que sa famille n’avait jamais été du genre à se perdre en états d’âmes. S’ils étaient arrivés là où ils en étaient, c’était parce qu’ils n’avaient jamais eu peur de se servir de tout ce qu’ils pouvaient pour écraser les concurrents.

Il cessa sa contemplation des portraits pour se retourner vers sa partenaire. Chad ne voyait pas qui serait mieux placé qu’Octavia pour s’assurer de la sécurité, mais elle aurait également besoin d’avoir l’oeil partout pour essayer de trouver les gens qui pourraient agir de manière suspecte. Chad hocha la tête. Il n’avait pas franchement envie de remettre sa vie entre les mains de n’importe qui, et à part Octavia et la reine, il ne voyait pas à qui il pouvait vraiment faire confiance. Une flamme de détermination s’alluma dans son regard alors que sa partenaire lui affirmait que le coupable paierait. Oui, il en avait bien l’intention, même s’il devait lui-même se salir les mains pour ça. Il n’avait pas l’habitude de le faire, mais il avait bien envie de remettre les impertinents à leur place.

- J’en ai bien l’intention.

Au moins étaient-ils sur la même longueur d’onde. S’en prendre aux Princeton, c’était se revendiquer être un ennemi d’Astria. Au vu de leur place sur leur planète, ils avaient toujours eu ce statut privilégié, en temps qu’inventeurs et proches des hautes sphères. L’héritier joignit les mains dans son dos. Octavia ne s’était pas laissée emporter, à ses yeux. Il ne l’aurait pas pensée aussi énervée à l’idée des affaires familiales des Princeton, mais Chad ressentait beaucoup de colère à l’égard de cette affaire.

- Il me faut le temps d’organiser quelque chose de grandiose.

Pour que ce soit crédible. Parce que les Princeton avaient toujours fait dans la démesure, ils ne se contentaient jamais du strict minimum. Il allait devoir mettre les grands moyens pour que tout ça ressemble à l’esprit Princeton. Cela prouverait également qu’il était digne d’en être l’héritier. Son père et son frère n’auraient pas apprécié une cérémonie en petit comité et intimiste. Non, il fallait qu’il fasse quelque chose de conséquent.

- Ca doit être quelque chose qui marquera les esprits. Je vais mettre mes meilleurs assistants sur le coup.

Sans leur révéler la véritable raison de cette manoeuvre, bien sûr. Mais Chad aurait bien besoin de ceux-là, qui avaient l’habitude d’organiser les événements pour les Princeton.

- Nous ne savons pas à qui nous avons affaire, ce qui implique que nous devons être prêt à tout. Nous ne sommes pas à l’abri d’un enragé qui mettrait les invités en danger.

Après tout, les employés de l’usine n’avaient pas été épargnés dans l’explosion. Certains s’en étaient sortis, ceux présents sur la liste. Mais d’autres avaient péri. Et Chad devait encore trancher la question : allait-il commémorer leur mémoire en même temps que sa famille ? Il ne pensait pas que ce soit dans l’esprit Princeton, ils s’étaient toujours vu au-dessus des autres. Mais il se voyait mal faire comme s’ils n’existaient pas.