C'était sa troisième sortie depuis l'accouchement. La première, où elle n'était pas accompagnée. Et Hera était contente de reprendre le rythme après des mois d'arrêt forcé.

Son bébé était né trois semaines plus tôt - et, Dieu soit loué pour ceux qui y croyaient, tout s'était bien passé. Devenir mère aurait été une expérience intense en émotions dans les meilleures circonstances. Ici, dans un monde en ruines, sans son partenaire... C'était dur, sans aucun doute. Pourtant, en tenant ce si précieux, si parfait petit être pour la première fois dans ses bras, ses doutes s'étaient éloignés, un moment. C'était un petit garçon, avec des yeux bleu qui lui rappelaient ceux de son père... Caleb. Le nouveau centre de son monde.

Malgré tout, elle n'avait pas perdu de temps avant de vouloir retourner dans l'action. Que du contraire. Les équipes tactiques avaient besoin d'elle, et elle avait besoin de rester active. En fait, elle avait presque encore plus envie de se battre, aujourd'hui, avec quelque chose d'aussi précieux à protéger à la maison. Au delà de sa survie, de celle de la communauté, elle pensait à présent à l'avenir, au monde où son enfant allait grandir...

Et puis, chaque fois qu'elle devait rester seule avec ses pensées, ces dernières ne faisaient que la tourmenter. Elle avait besoin de s'occuper, besoin d'action, peut-être même besoin de danger.

Certains des autres membres des équipes tactiques protestaient en la voyant déjà reprendre du service, mais en même temps, avaient-ils vraiment les moyens de se passer d'elle ? Donc, elle était repartie hors des barricades qui entouraient le bâtiment, pour le bien de sa communauté... Avec un accompagnement les deux premières fois (ce qui la faisait bien rire : en quoi avoir eu un enfant la rendait-elle moins compétente, d'un coup ?) et puis, enfin, en solo.

Il s'agissait aujourd'hui d'une simple mission de reconnaissance autour du bâtiment, pour vérifier que rien de suspect ne se passait dans le périmètre. Depuis l'attaque de Sanders, la communauté avait redoublé de vigilance, avec des patrouilles très fréquentes sur ce qui passait pour "leur territoire"... Une précaution nécessaire, pas uniquement pour le bâtiment lui-même, mais même pour les autres habitants de la ville. Car, bien sûr, s'ils restaient attentifs aux zombies, c'était des activités humaines qu'ils se méfiaient principalement.

C'est pourquoi en réalisant qu'elle n'était pas seule dans les rues pendant cette petite patrouille de routine, Hera n'avait pas perdu un instant avant de sauter dans l'action. Sans annoncer sa présence, elle s'était faufilée en hauteur, cherchant un point du vue dégagé depuis lequel elle pourrait voir qui était cette intrus et quel danger il présentait. Etait-ce un simple habitant de Silvergate perdu, ou peut-être l'un de ces solitaires qui refusaient toujours de rejoindre une communauté ? Un raider, un voleur venu causer du grabuge au bâtiment ? Ou peut-être même un éclaireur pour une nouvelle armée à la Sanders velu explorer le coin ?

Elle repéra l'inconnu (ou plutôt l'inconnue : une jeune femme aux cheveux blonds) alors que cette dernière était en train de courir dans la rue, comme si elle fuyait quelque chose. Derrière elle, le bruit immanquable d'un mort vivant... Le zombie semblait assez éloigné pour qu'elle puisse lui échapper sans problème, ceci dit, et Hera n'intervint pas, continuant d'observer sans révéler sa présence. Jusqu'à ce que la jeune femme chute soudainement, sans raison apparente - et crie, et panique... Hera restait immobile, réfléchissant très vite - et en la voyant essayer de ce réfugier dans le même bâtiment qu'elle, passant par l'échelle branlante qui menaçait de s'écrouler à tout moment, elle n'attendit plus et se précipita pour la tirer à l'intérieur...

-"Reste en arrière !"

Elle leva son arme et la pointa en contrebas vers la rue, retenant son souffle. Quelques zombies s'approchaient en titubant - mais ils ne parviendraient pas à les suivre ici en haut, et elle préférait les laisser "vivre" tant qu'ils ne présenteraient pas un danger imminent. Souvent, tirer à l'arme à feu dans ces rues était pire que mieux. On se débarrassait d'un zombie, pour en attirer dix de plus à cause du bruit...

Elle souffla et rengaina.

-"Okay, on est bons." En tout cas, elle l'espérait. Elles allaient devoir attendre un peu avant de se remettre en route, cependant, le temps que ça se calme dehors... Un temps d'attente parfait pour en apprendre plus sur ce qui se passait, ici, exactement. Hera se tourna vers la jeune femme, à mi chemin entre inquiétude et accusation. "Qui es-tu ? Et qu'est-ce que tu fais là toute seule ?"

Hera considéra la jeune femme un moment, tentant de déterminer pourquoi elle lui semblait un peu familière, maintenant qu'elle la voyait de plus près. Cornélia Hale, Cornélia Hale... Hale - le nom d'une des femmes du bâtiment, non ? Oui - elle avait apperçu Cornélia une ou deux fois dans la communauté, de loin. Elle ne s'était pas mêlée des sombres histoires de famille qui y étaient liées, ce genre de rumeurs ne l'intéressait pas du tout et elle avait autre chose à faire de sa vie.

-"Hera Syndulla," se présenta-t-elle finalement. "Tu as eu de la chance que je sois là."

En l'entendant affirmer "qu'elle ne voulait pas connaître la véritable réponse à sa question", Hera s'alarma. Oh, ce n'était aucunement au suicide qu'elle pensait : ça ne traversait même pas son esprit. Mais elle se demanda si la jeune femme n'était pas en train de fuir quelque chose, une mauvaise situation qu'elle avait peur d'avouer. Elle vivait au musée, donc - un endroit assez paisible selon sa réputation à Silvergate. Mais... Des cas d'abus ou de maltraitance pouvaient se cacher même dans les meilleures communautés. Et après tout, il y avait quelque chose de sombre et d'inavouable dans la famille Hale. Assez pour rendre Hera suspicieuse. Peut-être qu'elle aurait du faire plus attention à ces commérages, après tout.

Elle ne l'interrogea pas tout de suite là dessus, la laissant plutôt s'expliquer pour sa jambe qui semblait la faire souffrir. Pas une morsure, affirmait-elle, et Hera n'avait aucun mal à la croire, vu l'absence de sang et la chute qu'elle l'avait vue faire un peu plus tôt. C'était la séquelle de l'attaque de Sanders... ou plutôt du Colonel Moutarde, un surnom qui parvint à arracher à Hera un sourire.

-"T'en fais pas. On peut rester ici un moment le temps que tu te reposes, je ne vais pas te laisser toute seule au milieu de nulle part." Et comme pour le démontrer, elle s'accroupit - dans une position qui lui permettrait néanmoins de se relever d'un bond en cas d'alerte. "Comment t'es-tu perdue ? Qu'est-ce que tu cherchais ?" Elle hésitait un peu avec les mots, pas spécialement entraînée sur comment gérer ce genre de situation. Mine de rien, c'était pas évident. "Tu peux me dire la vérité, tu n'auras pas d'ennuis. Est-ce que tu as peur de quelqu'un ?"

Hera avait toujours été quelqu'un de naturellement assez maternel, même avant de réellement tomber enceinte. Face à une jeune femme comme Cornélia, ces tendances ressortaient et se faisaient sentir. Hera ignorait tout d'elle, mais elle semblait vraiment avoir besoin d'aide, plus que parce qu'elle avait mal à la jambe ou qu'elle s'était perdue... Aussi répondit-elle très sérieusement "Bien sûr, promis" sans tenter d'argumenter ou de poser des questions quand la demoiselle l'enjoignit de ne pas la trouver stupide. Elle la laissa parler...

Et... la situation semblait encore plus délicate qu'Hera le pensait. Car à priori, Cornélia ne fuyait pas quelqu'un... Non, elle avait juste voulu en finir. Se perdre dans les rues de Silvergate et chercher la mort, jusqu'à ce que son instinct de survie la pousse à se sauver.

Si jeune pour en arriver là... Et Hera ne se sentait pas vraiment prête à faire face à la situation. Comment parler à une jeune femme suicidaire ? On ne lui avait pas appris ça à l'école d'aviation... Mais elle était là, et il n'y avait personne d'autre à proximité pour l'aider, et pas de numéro d'urgence ou d'aide psychologique à appeler. A ce stade, elle ne pensait plus, ou presque, à sa petite mission de patrouille et à l'heure à laquelle elle était sensée rentrer. Ils s'inquiéteraient peut-être si elle s'attardait trop... mais ils comprendraient si elle expliquait ce qui se passait.

Elle ne répondit pas tout de suite. Elle s'assit un peu mieux, contre le mur, comme pour se préparer à une plus longue conversation. Que dire ? Honnêtement, elle ne savait pas, il devait y avoir des règles et des recommandations à suivre dans ce genre de cas mais elle ne les connaissait pas... Elle devrait juste parler du cœur, et espérer l'atteindre...

-"Pourquoi tu veux mourir, petite ?"

Hera était en train de se creuser le cerveau pour se souvenir de ce qu'elle savait de la manière de gérer ces situations de crise. Quelques vieilles règles lui revenaient à l'esprit... Ne pas laisser la personne seule ? Ouais, bien sûr. Prévenir un hôpital ou numéro d'urgence ? Ouais, ça, ça allait être compliqué.

Cornélia, elle, parlait, et expliquait sa situation, son histoire. Elle était... dramatique, ni moins dramatique que toutes les histoires de tous les êtres humains qui survivaient encore dans les ruines de l'ancien monde. Une pâtineuse, qui avait perdu sa passion. Une danseuse, qui ne pouvait plus danser. Une enfant qui n'avait plus d'espoirs en l'avenir... Pourquoi aurait-elle du ? Pourquoi, en effet.

Hera avait peur. Ca lui brisait le coeur d'entendre une jeune fille parler comme ça, pas uniquement pour Cornélia elle-même, mais pour son enfant à elle, qui devrait grandir comme ça. "Il n'y a plus d'avenir", c'étaient des mots qui revenaient souvent, encore et encore, parmi les survivants, et même si Hera était une battante, même si elle ne serait jamais prête à abandonner, elle avait parfois des doutes...

En silence, elle attrapa le bras de la jeune femme, pour l'empêcher de se faire mal à force de donner des coups à sa jambe. "Ca suffit." dit-elle doucement. Et puis, un peu stupidement sans doute : "Ca va aller." A qui s'adressait-elle, et de quoi parlait-elle ? De la jambe blessée, du suicide, du sort du monde en général ?

La lâchant finalement, sans la lâcher des yeux, elle soupira. Et retomba dans le silence, pour un temps. Se perdant un peu dans ses propres pensées, réfléchissant aux notions d'avenir, d'espoirs, et à ce qu'elle pouvait bien dire à cette gamine qui avait cessé de croire en les deux.

Finalement, elle rompit le silence.

-"Mon fils est né il y a un mois. Son père... N'est plus là." Parler d'elle-même, certains auraient peut-être dit que ce n'était pas la meilleure chose à faire en ce moment, mais elle ne savait pas quoi faire d'autre. "Je ne sais pas. Je dois espérer qu'il y a toujours un avenir. Pour lui. C'est tout ce que je peux faire à ce stade, être là, et espérer..."

Hera ne savait pas où elle venait en venir, exactement. Au bâtiment, depuis longtemps, on la qualifiait de "naïve", "trop optimiste". Malgré son background militaire comme tous les autres membres de l'équipe tactique, elle avait toujours été plus ouverte qu'eux, plus prompte à faire confiance au gens en dehors de la communauté, plus confiante en un avenir heureux pour les humains. Et même si ça devenait de plus en plus difficile d'y croire, et même si elle avait perdu plus que quiconque lors de l'attaque de Sanders, elle continuait d'être une battante, de continuer à tenir bon...

Elle ne savait pas si ce serait utile à Cornélia. Elle ne pouvait même pas comparer leurs situations. Elle ne voulait certainement pas donner l'impression de "réduire" le trauma de la jeune femme en le comparant avec son histoire à elle.

-"Ecoute - je ne peux pas prétendre que je sais ce que tu traverses. Je sais juste que tu as quand même cherché à survivre, au dernier moment, quand ça a vraiment compté... Et... Mourir, ce n'est pas la solution. Ca ne peut pas être la solution." Elle l'observait toujours, espérant deviner ses pensées, si ce qu'elle disait lui servait ou pas. "Je suis sûre qu'il y a des gens qui t'attendent chez toi. Qui ne voudraient pas te perdre."

Hera ne pouvait pas savoir comment vivait la jeune femme au musée, mais elle doutait vraiment que personne ne soit désespéré si elle disparaissait. Même au delà de ses parents, sa famille - toute sa communauté serait affectée par sa mort... Tout comme Hera et toute sa communauté aurait été affectée si l'un des leurs disparaissait comme ça. Mais c'était le genre de chose qu'il serait difficile à faire admettre à Cornélia si elle en était vraiment persuadée. Surtout venant de quelqu'un qui la connaissait à peine...

Hera la laissa continuer, et sourit à moitié en entendant la suite. Une garce ? Elle n'en avait pas l'air comme ça, quoi qu'elle en dise. L'ex militaire pinça d'un air sceptique son t-shirt délavé qu'elle avait enfilé ce matin, il fallait admettre, sans même y accorder une seule pensée. Pour être honnête, même avant, elle s'en fichait complétement. "Hey - de nos jours, il n'y a plus grand monde pour se préoccuper du style vestimentaire des gens. Rien que pour ça, tu es plutôt indispensable, je dirais." Elle ne savait pas si la tentative d'alléger un peu l'ambiance du moment servirait à grand chose, mais ça ne coutait rien d'essayer.

Elle soupira, se repoussant contre le mur également.

-"Même si les choses ont changé, il y a toujours de la beauté dans ce monde. Quand on cherche bien." Hera l'avait trouvée dans sa communauté, qui survivait malgré tout... Et surtout dans Kanan, son amour, et à présent dans son fils. Même si, en effet, ils ne reviendraient sabs doute plus jamais à la "belle époque" - et que même si ça arrivait, le monde ne serait plus jamais le même... "Est-ce que tu as parlé de tout ça à quelqu'un, chez toi ? Ce n'est pas bon de garder toutes ces pensées à l'intérieur."

Cornélia continuait de parler, de décrire sa situation. Même si elle savait qu'il restait de la beauté sur Terre, elle disait ne plus vraiment pouvoir la voir et en profiter. Comme si elle en était séparée... Un clair symptôme de sa dépression, elle ne ressentait plus vraiment d'émotions positives, elle se sentait en marge du monde.  

Et elle ne voulait pas en parler à ses proches. Ca, ça alarmait encore plus Hera - qui était déjà en train de se dire qu'elle devrait faire une visite au musée en personne, pour prévenir qui elle pouvait. Elle le ferait, sans aucune hésitation, si elle jugeait que c'était nécessaire : le contraire aurait été très irresponsable de sa part.

Mais elle préférait ne pas avoir à le faire à l'insu de la jeune femme. Elle ne tenait pas à abuser de sa confiance.

Cornélia se jugeait durement, et semblait certaine que n'importe qui à qui elle parlerait de ses problèmes en ferait autant. Elle était "stupide", elle "faisait la gamine". Bien sûr, Hera savait que rien n'était moins vrai. Même avant l'apocalypse, la dépression était un réel problème, une maladie sérieuse qui ne voulait rien dire sur le courage ou l'intelligence sur ses victimes... Et dans le monde d'aujourd'hui, si dur, c'était presque inévitable d'en souffrir...

-"C'est vraiment ce que tu penses ?" Elle la regarda sérieusement. "Tu n'es pas seule au monde, à te sentir comme ça. Et personne ne penserait que c'est stupide ou ridicule, si tu en parlais. Surtout pas tes amis, où les gens auxquels tu tiens..."

Elle soupira.

-"Ils voudraient t'aider, et garder un oeil sur toi. Mais pour ça, il faudra leur en parler."

Hera cogitait, sans en avoir l'air. Les propos de la jeune femme n'étaient pas totalement nouveaux pour ses oreilles. Tout le monde, parmi les survivants de cette apocalypse, était bien passé à un moment par une "mauvaise passe"... Tout le monde avait bien songé, à un moment ou un autre, qu'il serait peut-être plus simple de juste y mettre fin.

Hera avait trouvé une méthode pour parer ses sentiments - en se réfugiant dans son travail. Sa place dans l'équipe tactique, l'importance de son rôle de protectrice pour les siens... A chaque fois que son morale flanchait, c'était à ça qu'elle se raccrochait - elle n'était tout simplement pas autorisée à faiblir et abandoner. Avoir un enfant n'avait fait que renforcer les choses.

Cornélia n'était pas dans le même cas, et pourtant comme elle le disait elle-même, son corps avait "refusé"... Même quand elle cherchait à se laisser mourir, emporter par les zombies, au dernier moment, elle avait pris la fuite, elle s'était battue pour survivre.

-"Peut-être que tu devrais écouter ce que ton corps essaie de te dire", dit Hera. "Quelque part, profondément, tu veux vivre. Le contraire... Ce serait une tragédie, pas uniquement pour tes proches, mais pour toi en premier." Car Hera ne croyait pas une seconde que c'était uniquement parce qu'elle avait eu peur de faire du mal à sa famille que son instinct de survie avait pris le dessus. Non, ça, c'était juste une façon de justifier les choses après coup. "Tu sais, je me souviens d'avoir lu, quelque part avant l'apocalypse, qu'une majorité de survivants du suicide disaient qu'au dernier moment, ils avaient regretté leur geste. Et pour ceux qui ont réussi ? On ne saura jamais..."

Elle ferma les yeux. Elle disait peut-être des banalités - elle ne savait pas. Elle allait de toute façon s'arranger pour tirer la sonnette d'alarme du côté du musée. Même si Cornélia n'était techniquement pas sa responsabilité, elle se sentait impliquée, maintenant.

-"Kanan - mon compagnon, mon..." Elle se mordilla les lèvres. "Le père de Caleb. Il était très spirituel, plus que moi. Il aurait dit qu'il y a une bonne raison pour que je me sois trouvée sur ton chemin, aujourd'hui. Que l'univers veux te passer un message."

Elle soupira.

-"Moi, je ne sais pas si je crois totalement à tout ça, mais... Je ne sais pas, providence ou pas, tu as reçu une seconde chance, ici. Tu devrais t'y accrocher, pas juste pour tes parents ou tes amis ou Dieu sait qui d'autre, mais pour toi-même."