Jamais Douxie ne s'était attendu à tenir autant à l'un des mages réfugiés dans sa tour.

Il fallait dire que Ciri n'avait rien d'une mage ordinaire. Au début, lorsqu'elle s'était présentée à la bibliothèque pour faire des recherches sur les portails, Douxie n'avait pas prêté plus d'attention que cela à cette jeune femme aux allures de guerrière, se bornant à lui remettre la documentation "accessible au public" concernant ses recherches - autrement dit : pas grand chose. Mais tout avait changé lorsqu'il l'avait vue... disparaître. Après cela, c'était dans son esprit qu'elle avait commencé à faire des apparitions de plus en plus fréquentes.

Il avait tenté de se convaincre que c'était cette mystérieuse magie qui l'avait interpellé, mais il devait bien se l'avouer : elle lui faisait de l'effet, au point qu'il en perdait ses moyens en sa présence. C'était pour qu'il le réalise, Douxie en était désormais certain, qu'Archie avait révélé l'air de rien à la jeune femme le portrait qu'il avait fait d'elle, lors de leur première session d'étude en tête à tête.

Ils avaient sympathisé, et pourtant, plus ils se rapprochaient, et plus il devait admettre qu'elle lui faisait de l'effet. Elle était belle, mais au-delà de cela, c'étaient sa curiosité intellectuelle, sa détermination et sa bravoure qui l'avaient captivé. Elle n'était même pas originaire de ce monde, et pourtant, elle s'était engagée corps et âme, et sans la moindre hésitation, dans la lutte qu'il menait clandestinement pour le droit des mages.

Douxie aurait aimé apprendre à la connaître davantage, pouvoir, peut-être, s'offrir une journée entière en sa compagnie, au lieu de soirées trop brèves sous les étoiles. Mais malheureusement, les complications s'étaient succédées depuis l'arrivée de la jeune femme. Tout d'abord, il y avait eu le symposium - qu'ils n'avaient jamais eu l'occasion de renommer, la faute à cette boucle temporelle qui les avait piégés durant des jours et des jours. Et après cela, les catastrophes naturelles avaient touché le continent. Entre les mages ayant besoin d'aide, et les nombreux érudits envahissant la bibliothèque à la recherche de solutions venues de l'ancien temps, Douxie avait été débordé.

Mais maintenant que les éléments s'étaient calmés, que la situation s'était tassée, ils avaient bien mérité une pause. Ce soir, c'était décidé, Douxie allait prendre son courage à deux mains et l'inviter à passer la journée du lendemain avec lui. Pour l'heure, cependant, c'était dans la bibliothèque qu'il avait pris cette décision, tout en parcourant des rayonnages pour sélectionner des ouvrages nécessitant d'être confiés aux ateliers de réparation et de copie. Une tâche qui n'avait rien d'urgent, mais faisait plutôt partie de l'entretien régulier d'une bibliothèque, au même titre qu'il fallait fréquemment faire la lessive ou passer le balai dans une maison de particulier. Et heureusement que ce n'était pas urgent, car à vrai dire, il n'arrivait pas à se concentrer, trop distrait par une paire d'yeux aux couleurs changeantes, brillant comme des tourmalines.

Et soudain, il entendit dans son dos la voix de celle qui occupait ses pensées : "Hey Douxie." Un sourire radieux illumina son visage, et il se força à prendre un air qui lui semblait un peu moins benêt avant de se tourner vers elle.

- Salut, Ciri. répondit-il.

Dans le dos de la jeune fille, sur l'un des fauteuils destinés au public, il pouvait distinguer Archie. Le familier faisait mine de dormir, mais l'étroite fente dorée perpectible sous ses paupières indiquait qu'il n'en perdait pas une miette.

"Tu te rappelles quand on avait parlé de visiter ma maison, un de ces jours ?" Il savait, bien entendu, qu'elle ne parlait pas simplement d'une demeure ou d'un village natal, mais qu'il s'agissait plutôt d'une manière habile de désigner son monde - un monde qu'il avait tant rêvé d'explorer, et plus encore auprès d'elle. "C'est un de ces jours. Viens." reprit-elle. Et avait qu'il n'aie eu le temps de réaliser ce qu'il se passait, elle le prit par le bras et l'attira derrière une étagère.

"On pourrait aller à Kaer Morhen. Le fort où j'ai appris à manier l'épée. Qui sait, on pourrait croiser un griffon." Le regard de Douxie était soudain semblable à celui d'un adolescent à qui on aurait proposé de se lancer dans une aventure épique. Lui aussi étudia les environs, et constata avec satisfaction que personne ne les entendait.

"La bibliothèque sera toujours là quand on reviendra." ajouta-t-elle, et il hocha la tête. Après tout, il y avait des employés sur les lieux, capables de renseigner le public, et ils avaient l'habitude de ne pas toujours savoir où il était.

Il aurait été impensable pour Douxie de visiter un tel lieu sans avoir avec lui de quoi prendre des notes et croquis, mais il portait toujours sur lui un sac contenant son carnet de notes et son fusain. Il faudrait peut-être qu'il se change, mais cela, il pourrait le faire là-bas, d'un sort rapide.

"T'en penses quoi ?"

Il referma sa main sur celle de la jeune femme, savourant la chaleur de sa peau contre la sienne.

- Ca tombe bien, j'espérais justement te proposer qu'on passe un peu de temps en tête à tête, répondit-il alors.

Dans son fauteuil visible entre deux ouvrages, Archie redressa la tête, lâcha un ronronnement sonore, puis se rallongea, fermant cette fois complètement les yeux. Malgré cet apparent sommeil, le message était très clair pour le mage : "Profitez en bien, moi je garde un oeil ici."