Le retour du fils prodigue. C’était la première chose qui lui était apparu à l’esprit lorsque s’étaient affichés partout en ville et jusqu’au creux des boîtes aux lettres la grande nouvelle : Bruce Wayne revenait dans sa ville natale, celle que sa famille avait marqué de son empreinte des années durant. Ça avait un côté ridicule et pathétique et tellement, tellement paternaliste que Clark détestait profondément. Car voilà, bonnes gens, la Wayne Enterprise, enfin, non, la Fondation Wayne, la branche respectable, conviait tout un chacun à assister aux festivités données en l’honneur du jeune prodige, permettant ainsi au peuple de se réjouir quelque peu. C’en était presque insultant. En tout cas, Clark le vivait clairement comme tel. Mais peut-être son aversion pour tout ce qui était magouille et compagnie de multinationales et de grandes fortunes y jouait pour beaucoup. Après tout, il ne connaissait pas Bruce Wayne et ce n’était même pas dit que le jeune homme soit de prêt ou de loin derrière ce qui n’était, au fond, qu’une opération de communication. Mais ça n’était certainement pas pour ça qu’il devait lui-même bouder les lieux, bien au contraire. C’était exactement le genre d’événement qu’il se devait de couvrir et il comptait bien ramener un article juteux de sa soirée.

C’est bien donc pour raisons professionnelles, et uniquement pour raisons professionnelles, que Clark s’était engoncé dans l’un des costumes de soirée dans lesquels il n’avait jamais su être vraiment à l’aise, préférant largement ses costumes de ville dont il avait l’habitude – voire des tenues plus confortables, mais elles passaient moins pour ses rendez-vous de travail. Et c’était toujours pour ces mêmes raisons qu’il avait passé les portes de la luxueuse tour qui servait de siège à la Fondation. Saluant par réflexe les membres chargés de la sécurité, observant personne ayant pris la peine de se déplacer, Clark comptait bien mettre à profit chaque minute de son temps pour se faire une idée la plus nette possible de cette soirée. Si la Fondation comptait amadouer toute la population de Silvergate avec une soirée, Clark, lui, avait bien l’intention de creuser sous les dorures pour essayer de comprendre au maximum ce que cela pouvait cacher. Il était journaliste, il était là pour ça – et c’était d’ailleurs bien pour ça qu’on le détestait très souvent. Et surtout que ses articles faisaient si souvent mouche.

Mais pour l’heure, il était temps de se fondre dans la foule, ce qui n’était pas forcément chose aisée quand on avait sa taille et sa carrure. Se frayant tant bien que mal un chemin jusqu’au buffet pour se saisir d’une coupe et se donner ainsi une contenance, Clark observe, écoute, apprend. Son enregistreur dans sa poche, son calepin et son stylo dans une autre, il voulait prendre tout son temps pour s’imprégner entièrement des lieux. Mais voilà. Il y a du monde au mètre carré, ce soir, et Clark ne voudrait pas bousculer quelqu’un. Alors qu’il déambule, il se faufile, esquive, tente de s’insérer dans un espace vide… Jusqu’à ce qui devait arriver arriva. Alors qu’il évite un groupe de deux jeunes femmes visiblement surexcitées par l’ambiance de la soirée, Clark se recule d’un ou deux pas de trop et fini par bousculer une autre jeune femme qu’il n’avait pas vu. Redevant aussitôt le journaliste maladroit, il ne peut s’empêcher de bafouiller devant sa flute de champagne dont une partie du liquide s’est répandue sur la jeune femme en question : « Je suis vraiment désolé, mademoiselle, j’espère que je ne vous ai pas fait mal ? Est-ce que je peux vous rapporter quelque chose pour me faire pardonner ? » Toujours poli, presque trop, quand il ne revêtait pas le costume du journaliste impitoyable. Confus, surtout, de sa propre maladresse. Il espère surtout que l’autre ne s’énerve pas, il n’a aucune envie de se faire remarquer. Mais après tout, ce n’est qu’un peu de champagne, non ?