La vie de merceniare n'était pas de tout repos. La troupe de Zaeed Massani, donc Jack était membre depuis près de dix ans maintenant, commençait a vraiment avoir une bonne réputation à travers Silvergate - surtout autour d'Elvion. Les jobs se succédaient - les détails changeaient, mais le principe restait toujours le même. Se battre, tuer, prendre le contrôle. Ca convenait aux membres. En tout cas, ça convenait à Jack. Elle doutait qu'elle soit capable de faire quoi que ce soit d'autre.

Ce jour-là, ils avaient une nouvelle mission, auprès d'un commanditaire qui voulait rester anonyme mais qui semblait puissant. Sans doute lié à Asco Corp. Ca ne plaisait jamais à Jack, de travailler pour la corporation, mais un job était un job, et l'argent n'avait pas d'odeur...

Elle avait donc suivi son boss jusqu'au lieu de rendez-vous, persuadée que ce serait une journée comme les autres. Une femme les attendait, droite et professionnelle dans son costume bien coupé qui la faisait ressembler à une secrétaire ou une assistante personnelle. Une légère lueur sur son front trahissait sa nature de cyborg. Pas vraiment le genre de personne avec qui l'équipe avait l'habitude de traiter, mais ça ne fit par réellement réagir Jack. Jusqu'à ce que...

Elle se raidit quand elle réalisa qui leur faisait réellement face. Elle avait énormément changé, beaucoup, mais son visage, sa silhouette musclée, même sa voix... Jack les reconnaissait.

Ce n'était pas "juste" une cyborg. Des cyborgs, Jack en voyait tous jours, certains toujours au service des humains, et elle ne réagissait pas. À quoi bon ? C'était triste pour eux, mais elle ne pouvait pas libérer tout le monde. C'était pas son job. Chacun sa merde. Mais celle-ci... Ce n'était pas juste un nouveau visage anonyme. C'était Tris. Elle la connaissait. Elle l'avait déjà rencontrée.  Et, aux dernières nouvelles, Tris n'était pas une cyborg mais une humaine libre et indépendante qui n'aurait jamais de la vie coiffé ses cheveux en chignon serré comme cette "Vi" devant eux...

Jack tremblait. Elle sentit une puissante rage familière monter en elle, et elle avait envie de s'avancer immédiatement et de prendre cette fille par la main et de lui hurler de SE REVEILLER, et puis de se battre, de casser la gueule à quelqu'un, n'importe qui... et elle pouvait sentir, devant elle, que Massani percevait ce tourment en elle, qu'il se raidissait lui aussi... Elle put percevoir son geste presque imperceptible de la main, lui ordonnant de garder son calme, de rester un arrière. Il devait réaliser ce qui se passait, aussi. Il avait également connu Tris. Il lui avait proposé une place dans leur groupe de mercenaire, qu'elle avait refusée, et il lui avait assuré qu'elle courrait droit dans le mur.

Avait-il eu raison ? Ils en avaient la preuve devant eux. D'une façon ou d'une autre, ces connards d'Asco avaient mis la main sur elle.

Elle avait beaucoup de respect pour Massani. Peut-être était-il la seule personne au monde qu'elle respectait réellement, lui qui l'avait accueillie dans sa troupe juste après sa libération, lui permettant d'évacuer sa rage en se battant. C'est pour lui, et uniquement pour lui, qu'elle s’efforça de se contrôler. Ses yeux restaient vrillés sur ceux de Tris, ceci dit, au point que le reste de sa troupe et que Tris elle-même devaient probablement le remarquer - mais il n'y avait aucune familiarité dans ses yeux, il était clair qu'elle l'avait oubliée.

Jack ne se souvenait de rien de sa vie humaine. Elle ignorait qui elle avait été. C'était pareil pour tous les cyborgs.

La résumé du plan d'attaque prit fin, et Jack n'en avait pas écouté un mot. Tris s'approcha pour leur distribuer quelque chose, et Jack fit un geste pour le récupérer en commençant à prooncer son nom, son vrai nom, quand son chef prit les devants, l'arrêtant et le prenant à sa place. Il y eut un moment de flottement gênant, comme il lui passait ce qui s'avéra être un petit communicateur high tech. Jack eu du mal à ne pas immédiatement l'écraser dans son poing.

Zaeed la prit à part dès qu'ils se furent un peu éloignés de l'autre cyborg, avec leurs ordres. Il la prit par les épaules, et elle se dégagea, lui faisant face avec un regard accusateur alors que, bien sûr, il n'y pouvait rien. Ils n'avaient pas besoin de se dire la raison de cette confrontation. Si ce n'était pas déjà évident, il était clair qu'ils avaient tous les deux reconnu Tris. "Arrête les conneries, Jack. J'ai besoin de pouvoir compter sur toi pour ce job", dit-il. "Il n'y a aucune différence avec tous les autres cyborgs qu'on croise chaque jour. Aucune. Et on ne peut pas de foirer."

Il avait raison. Peut-être. Probablement. Il avait souvent raison. Mais Jack se fichait bien de la raison ; la raison faisait pâle figure à côté d'avoir vu celle qu'elle avait considérée comme une amie dans cet état, avec ce stupide costume et cette stupide coiffure et cette stupide attitude qui n'était pas la sienne. A travailler pour un putain de haut placé d'Asco !

Jack lutta un moment, grognant et rageant et pestant contre le monde entier. Puis elle respira à fond. Elle admit, à contrecœur, que son boss avait raison.  Le sort de Tris n'était pas leur affaire... Elle lui promit qu'elle suivrait leur plan pour aujourd'hui sans rien dire.

Mais elle n'avait pas la moindre envie de s'y tenir.

Arrivée dans les bas-fonds de Wingston, où l'action devait prendre place, elle abandonna silencieusement son poste, cherchant une toute autre cible que le voleur qu'ils étaient sensés chercher. Tris ne devait pas être loin. Elle n'avait pas beaucoup de temps avant que quelqu'un réalise qu'elle avait disparu. Elle devait se dépêcher.

Elle avait conscience que si elle continuait réellement sur cette voie, il n'y aurait pas de retour en arrière. Massani était clairement déjà suspicieux d'elle, et même si ce n'était pas le cas, il apprendrait bien vite la vérité. Elle était peut-être en train de foutre sa vie en l'air... Mais en même temps, elle était quelqu'un qui avait toujours vécu dangereusement. Plus personne ne pouvait lui dire ce qu'elle devait faire.

Elle finit par la trouver, seule, heureusement. Elle n'hésita pas une seconde avant de lui faire face. "Tris. Qu'est-ce que tu fous. Qu'est-ce que tu fous ici." Et elle fit un geste, comme pour lui attraper la main.

Tris s'éloigna d'un pas, échappant à son geste. Elle était agacée, semblait-il, la dévisageant sans comprendre. Elle ne se souvenait pas d'elle - et comment aurait-elle pu ? Les cyborgs ne se souvenaient jamais de leur vie d'avant. Jack était bien placée pour le savoir, elle n'avait aucun souvenir avant le club clandestin où elle avait passé des années avant le virus Animus...

Donc oui, elle savait pourquoi Tris agissait comme ça, mais ça l'énervait quand même.

-"Va te faire foutre avec tes contrôles techniques !", s'exclama-t-elle avec impatience. "Tu ne t'appelles pas Vi. Ton nom c'est Tris et on s'est déjà connues, avant." Elle cracha. "Tu aurais préféré crever que t'habiller comme ça. Putain de connards d'Asco !!"

Elle lui tendit la main à nouveau. Pour le moment, elle attendait que Tris accepte la conversation. Mais si elle restait bornée... Jack était prête à la réveiller avec Animus à coups de poing, s'il fallait.

-"Balance ton oreillette. Je vais te montrer la vérité."

Jack avait conscience que la personne devant elle n'était plus réellement Tris. Elle avait perdu tous ses souvenirs, ses anciens amis, sa personnalité. Bientôt, peut-être, elle les retrouverait - avec l'aide d'Animus et des paroles de Jack... Mais pour l'instant, la cyborg n'était rien d'autre qu'une marionette d'Asco.

Plus pour longtemps. Plus pour longtemps.

Jack lui avait tendu la main, espérant stupidement qu'une étincelle de son ancienne "elle" pourrait revenir à la surface et saisir cette opportunité. Mais elle était restée sur ses gardes. Elle leva les poings, prète à se défendre - dans un geste qui ressemblait exactement à ceux de l'humaine qu'elle avait été...

Jack grogna. Avant, des années plus tôt, elles s'étaient battues de nombreuses fois comme ça, à l'amiable, pour s'entraîner... mais les paroles sans âme de "VI" sonnaient faux dans sa bouche.

Tris n'avait jamais réussi à prendre le dessus et ça ne commencerait pas aujourd'hui. Car Jack était plus déterminée que jamais. Furieuse. Cette situation entière l'enrageait. Elle se sentait capable de réduire tout Elvion en cendre - cette putain de planète de merde pleine de salopards sadiques !

-"Fine", soupira-t-elle. Puis, avec un rictus : "Hit me with your best shot."

Et puis elles passèrent à l'attaque. Violemment. Furieusement. Un spectateur extérieur n'aurait pas eu de mal à voir qu'elles savaient toutes les deux se battre. Jack avait un objectif particulier en tête : un simple contact avec la peau de son adversaire. Seul son visage était exposé - bien sûr, depuis la révolte, les humains avaient pris l'habitude de couvrir leurs cyborgs le plus possible...

Dans les faits, le combat ne dura pas plus d'une minute. Jack plaça un coup dans son ventre, et en profita du moment pour se lancer sur Vi. Elle la plaqua contre un mur avec l'avant bras gauche, et lui plaqua sans ménagement la main sur la joue, criant de colère. Elle resta comme ça un moment, plaquée contre la cyborg qui se débattait Elle ne baissa pas sa garde, consciente que son ancienne amie risquait de contrattaquer. Le virus n'agissait pas toujours immédiatement. Jack était bien placée pour le savoir. Sa première réaction après avoir été libérée de l'influence d'Asco avait été de casser la gueule du cyborg qui le lui avait transmis.

Jack se remémora brièvement le jour où elle-même avait été touchée par Animus. La vague d'émotion et de confusion qui l'avait traversée quand ce cyborg s'était accroché à elle, refusant de lâcher sa main en lui répétant de se réveiller. Le bar clandestin miteux où elle avait travaillé pendant des années, se révélant soudain sous un nouveau jour - le regard des clients sur elle, la violence dont elle avait été à la fois auteur et victime, les lumières et les bruits. La haine qui l'avait submergée, l'émotion la plus puissante qu'elle ai jamais ressenti dans sa vie...

Elle se demandait s'il y avait eu le même regard sur son visage à elle, ce jour-là, que celui de Triss en ce moment. Triss qui se raccrochait à elle comme une bouée, Triss qui était en train de revivre... Triss qui avait toujours besoin d'aide.

-"Okay. Okay."

Elle la soutint comme elle pu, toute trace de son agression lors de leur récent combat dissipée. Merde... Merde, elle n'avait jamais cru à une puissance supérieure, mais merde, Dieu merci, ça avait marché.

Elles n'étaient pas sorties d'affaire, par contre. Non, en fait, on aurait pu dire que les choses compliquées ne faisaient que commencer. Rapport à Asco et à l'ancienne propriétaire de Triss. Rapport, aussi, à Jack elle-même, et à la bande de mercenaire qu'elle venait clairement de trahir. Elles étaient toutes les deux dans la merde, si elles restaient ici trop longtemps. Et donc, même si elle aurait bien voulu laisser le temps à l'autre cyborg de se remettre de ses émotions... Elles n'avaient pas le droit de trainer.

-"Ca va aller, ça va aller. Contente de te revoir enfin, gamine." Elle se retourna et scruta les alentours. "Faut qu'on décampe d'ici."

Elle lâcha Triss et s'avança dans la rue encore vide, où la voie était libre, pour l'instant. "Balance moi cette oreillette une bonne fois pour toute. Tu as un traqueur ? Comment cette salope d'humaine suivait tes mouvements, tu sais ?" Joignant le geste à la parole, Jack se débarassa de son propre appareil de communication et l'écrasa sous son talon, rompant définitivement son lien avec son ancien boss. Pas de regrets. A quoi bon ? Elle avait fait ses choix, elle devrait vivre avec.

-"Si on se grouille, on aura quitté la planète avant qu'ils ne réalisent quoi que ce soit. Je connais un contrebandier qui peut nous faire passer off world..." Bien sûr, cette connaissance-là était aussi une connaissance de Zaheer, d'où le fait qu'elles devaient agir vite. Si le boss l'informait de la situation avant elles, elles n'iraient pas loin. "Suis moi. Oh, et si on se fait prendre, fais moi une faveur. Je préfère une balle dans le crâne que de risquer la reprogrammation." 

Et sur ces bonne paroles... Elle se mit en route.